Ah, décidément, ce n’est vraiment pas simple d’être Monsieur Manu, le Président De La République ! Vu depuis son poste de ministre, puis du poste de candidat, l’affaire semblait pourtant bien engagée : moyennant de solides réformes en poussant les boutons ici, là et là, et en abaissant ce levier-ci tout en remontant ce levier-là, pouf, on remettait le pays au travail et tout le monde était content. Las, il y a beaucoup plus de boutons et de leviers que prévu, et beaucoup, beaucoup plus de monde pour en interdire l’accès.
En principe, il suffisait pourtant d’engager de vigoureuses réformes de fond et de forme et l’affaire était pliée assez rapidement. On lui avait dit, et il le savait, que tout devrait se jouer sinon dans le six premiers mois, au maximum dans la première année. Après, lassitude de l’exercice du pouvoir, fatigue du peuple attendant des résultats, tout risquait de devenir plus complexe, plus gluant, plus long à dépanner.
Il avait donc lancé, en fanfare, moult révisions, force réformes et grands textes de lois auprès d’un parlement dont la composition, ultra-favorable à sonCependant, des petits grains de sables se glissèrent dans la machine bien huilée du nouveau président, de son nouveau gouvernement, de son nouveau parlement, de son nouveau parti et de ce nouveau peuple qui, mine de rien, ne semblaient pas tout à fait aussi volontaires que prévu dans leurs démarches pro-actives de changement calculé.
En fait de réformes, qu’on espérait fondamentales, profondes et revigorantes, ce fut essentiellement des petits changements, souvent minimaliste, parfois purement cosmétiques, annoncés et médiatiquement poussés en fanfare : celle du code du travail ne jouera qu’à la marge et sur le long terme, et sa traduction en terme d’effets restera de toute façon mineure ; les bricolages sur l’ISF touchent peu de gens, la baisse des impôts sur les entreprises s’étalent mollement jusqu’en 2022 (ce qui veut dire qu’elles ont encore le temps de se faire tabasser fiscalement ailleurs) et toutes ces petites bidouilles seront amplement compensées dans le mauvais sens par la complexité effarante introduite avec la retenue à la source ; les autres bricolages (dans la formation ou la gestion du chômage par exemple) semblent, là encore, une longue enfilade de patchs et autres rustines sur des systèmes fondamentalement vérolés. Je n’évoquerai pas la « réforme » de la SNCF qui, hormis un nombre invraisemblable de jours de grève, d’incidents de réseau et de passagers mécontents, n’a entraîné aucune perspective d’en finir une fois pour toute avec la dette abyssale et les caprices insupportables de la vieille dame incontinente.
Beaucoup d’observateurs, fins analystes de la vie politique française, feront mine de récriminer devant cette courte liste et cette appréciation négative des efforts fournis : « oh, mais, que dites vous là ! Toutes ces réformes, tous ces textes kilométriques de loi qui épuisent du député par douzaines, tous ces aménagements et ces modifications partout dans des codes de lois, bien sûr que si, c’est important, c’est courageux, c’est fortiche même ! » Et tous ces observateurs en concluront à la mauvaise foi, au procès à charge et à l’absence de lucidité.
Malheureusement, ils auront beau fermer leurs yeux et leurs petits poings en espérant, fort fort fort, que ces « réformes » vont avoir un impact majeur, la réalité refuse de se plier à leurs prières, aussi ardentes soient-elles. Et pour cause : la belle vigueur des révolutions envisagées s’est complètement évaporée dans la bureaucratie, les petits détails administratifs et les compromis politiques médiocres.
D’une part, l’État profond, c’est-à-dire les administrations, les agences, les entreprises plus ou moins publiques et tous les rentiers de la République n’entendent absolument pas laisser passer la moindre réforme d’envergure qui aboutirait d’une façon ou d’une autre, supposée ou réelle, à amoindrir leurs privilèges.
D’autre part, les syndicats, les médias et tout ce que le pays compte d’influents engagés n’ont absolument pas envie de voir leur part du gâteau diminuer sans broncher. Laisser le champ libre à Macron, c’est prendre un risque important de remise en question de ces petits viagers juteux qu’ils ont installés ces 40 dernières années (ou plus).
En outre, il faut bien comprendre que, malgré l’affichage médiatique d’une volonté de fer, malgré la communication musclée destinée à rassurer tout le monde sur des intentions fermement fixées et des convictions boulonnées au corps, Macron lui-même n’a rien d’un révolutionnaire : on parle d’un énarque, d’un inspecteur des finances dont le seul fait d’armes marquant pendant son temps à Bercy fut la mise en place de lignes de car dont l’impact fut, finalement, très modeste. Si l’on ne peut pas vraiment nier la mise en avant exubérante d’une certaine détermination pour remettre le pays sur les rails, on peut largement douter de la volonté réelle, consciente, de passage à l’action et le courage de vraiment ruer dans les brancards.
En pratique, Macron a, comme ses prédécesseurs, tenté de corriger quelques problèmes mineurs qui préoccupent un peu les Français, et c’est tout ce qu’il a fait parce que c’est à peu près toute la marge de manœuvre qu’on lui accorde, peuple compris : il suffit de voir que d’un côté, ce peuple admet sans problème que trop d’argent est claqué dans les aides sociales, et que de l’autre, il réclame que le président renforce sa politique sociale pour bien saisir l’ampleur du problème de cet électorat bicéphale et schizophrène.
Dans le temps d’un an de quinquennat, on est (encore une fois, comme sous Sarkozy, comme sous Hollande) passé d’une volonté de tout remettre à plat, éventuellement avec fracas, à des réformettes de petit législateur besogneux, des discussions oiseuses sur de la vaisselle ou une piscine, des bricolages mineurs, des vexations multiples à 80 km/h et des économies de bouts de chandelle.
Alors que le pays aligne des statistiques catastrophiques (chômage, dette, déficits, dépense publique stratosphériques et dépenses sociales open bar de numéro un mondial), que le nombre de pauvres continue d’augmenter, que la bureaucratie se fait tous les jours plus délirante, personne au gouvernement ne semble prendre la mesure des vraies mesures courageuses qu’il faudrait prendre, à commencer par des économies drastiques.
Le régalien continue de faire les frais de quelques coupes souvent hasardeuses : alors que le ministère de la Culture baigne dans un pognon de dingue (10 milliards d’euros), la Justice doit « composer » (et faire avec seulement 7 milliards) au risque de libérer des dealers faute de juges.
Pompon des réformettes : la cataracte d’impôts et de taxes directes et indirectes continue de tomber, mais les recettes baissent, démontrant l’ampleur des gabegies, des fuites, de l’abandon croissant des Français industrieux qui préfèrent la mettre en veilleuse ou s’en aller plutôt que se faire refaire le fondement avec un trépan fiscal de la taille d’une installation pétrolière offshore.
Et toujours pas d’économies solides en vue, seule transformation qui, en rétrécissant enfin le périmètre de l’État-maman, aurait libéré des énergies et des possibilités de croissance. On pratique la microchirurgie dans les recettes, sans comprendre que c’est le volet dépense qui mérite d’être motoculté aux engins lourds de chantiers.
En fait de transformation, Macron fait paysagiste armé d’un coupe-ongle dans un jardin à la française abandonné depuis un demi-siècle, qu’on camoufle tant bien que mal à coup de communication, de slogans creux et d’un xyloglotte très raffiné mais qui ne change pas de l’habituel.
Combien de temps ceci peut-il encore perdurer ?
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