Chaque 15 jours, Africultures propose son coup de coeur littéraire dans le Journal Afrique sur TV5 monde. Le 22 juin, focus, avec la journaliste et chercheure Alice Lefilleul sur Moi, figuier sous la neige, premier recueil de poésie de Elkhanah Talbi. Québéco-tunisienne, elle est notamment connue sous son nom d’auteure de slam, Queen Ka.
Que raconte ce recueil ?
Dans ce texte Elkahna Talbi nous raconte sa quête identitaire d’enfant d’immigrée. Née au Québec de parents tunisiens elle explore l’entre-deux de l’immigré seconde génération. « À demi dans deux vies », ce sont ses mots. Elle raconte les allers-retours géographiques et mentaux entre la Tunisie (pays de ses parents) et le Québec (où elle a grandi et vit). Un texte fort d’autant plus que l’immigration magrébine en Amérique du Nord (et ici au Québec) est une réalité qui est moins représentée en littérature.
Mais si n’est pas un roman, comment la poète s’y prend-t-elle pour raconter son histoire?
Le recueil se lit comme une mosaïque et chaque poème est une petite scénette. La plupart sont des souvenirs et c’est donc à travers le regard de l’enfant que nous avons accès à cet imaginaire. Cela crée à la fois une distance et une candeur qui permet de toucher encore plus le lecteur. La poète a recourt à la description très précise de sensations et de gestes (un procédé classique en littérature) et qui ici fonctionne très bien : remplir la valise de cadeaux à rapporter au pays, la torpeur qui vous envahit lors de la sieste l’après-midi en vacances après le bain de mer, les heures passées avec la grand-mère à faire la cuisine, la regarder faire ses prières. Les personnages de femme sont d’ailleurs assez présent dans le recueil, la grand-mère, la mère, la tante.
J’ai voulu mettre des mots sur les blessures et les doutes qui persistent pour construire ma propre patrie
Le titre l’illustre bien on est pris dans un entre-deux d’autant plus difficile à concilier qu’il est très différent : le sud du figuier et le nord de la neige. Il y a donc aussi dans le recueil une évocation de la façon dont l’enfant puis l’adolescente cherche chez-elle, au Québec, des traces de la Tunisie familiale. Elle écrit aussi la façon dont elle est perçue par ses camarades de classe. Différente, l’adolescente fait de cette différence une force.
Moi figuier sous la neige est aussi très drôle n’est-ce pas?
On ne s’attend pas forcément qu’un recueil de poèmes nous fasse sourire, si ce n’est rire. Mais là, la poète sait créer des images drôles qui montre son décalage d’enfant entre deux cultures comme lorsqu’elle écrit : « Solitaire au salon / je suis convaincue / que Tata fait exprès de mettre / de la neige dans la télé / pour adoucir mon dépaysement. ». Cet humour rend la poète attachante et le lecteur est encore plus touché par ces vers qui concluent le recueil : « je cherche l’émerveillement / des commencements / je cherche encore / tellement / une maison. ».
Et finalement, pourquoi la poésie?
Parce que ce sont les mots poétiques et les images insolites et nouvelles qu’ils créent qui sont justement la maison que se cherche Elkahna Talbi. Vous l’aurez compris ces textes racontent des petites histoires, c’est donc une poésie narrative, très directe et abordable pour tous les lecteurs.
« J’ai voulu mettre des mots sur les blessures et les doutes qui persistent pour construire ma propre patrie » annonce la poète en introduction de ce recueil. Avec ce texte, elle se construit un chez soi tendre, plein d’images, de poésie et de drôlerie. C’est très réussi!