La pièce Compassion. L’histoire de la mitraillette du metteur en scène suisse Milo Rau a été représentée le 11 juin 2018 à Braunschweig, Allemagne, dans le cadre du Festival TheaterFormen. Dans un réalisme qui rappelle le documentaire, cette pièce donne libre cours à une histoire à la fois vécue et imaginée avec des comédiens qui rendent la scène vivante, malgré un déséquilibre prononcé dans la distribution des rôles.
J’ai commencé par regarder la scène avec étonnement. Un bric à brac d’objets jonche le sol, les uns plus vieux et inutiles que les autres : canapé noirci, branches d’arbres, sachets plastiques, poupées, chiffons, pneus, vêtements usagés…. En un instant, cette scénographie me transporte dans un lieu désolé où les ruines ont succédé au chaos.
L’histoire se raconte donc en deux dimensions. Au premier degré, Consolate Sipérius témoigne de sa propre histoire en introduction et en conclusion. Au second degré, Ursina Larsi interprète un rôle qu’elle porte avec tellement de réalisme qu’on en est bluffé, malgré la longueur de son texte. Les deux monologues se rejoignent entre le Burundi, le Rwanda, le Zaïre devenu RD Congo et l’Europe. Le théâtre est réel. Sur cette scène, il est vivant, au point de choquer.
La pièce Compassion est une charge violente contre la fausse compassion occidentale qui s’indigne pour un mort et se tait pour des millions d’autres. Une indignation éphémère qui s’évanouit dans le fil d’actualité et sert à rassurer la bonne conscience occidentale face au colonialisme et au néocolonialisme. C’est cette compassion corrompue par les médias qui a poussé les parents belges de Consolate à l’adopter. Une compassion, somme toute faite de bons sentiments, mais qui se laisse corrompre et influencer par les médias. Le doigt accusateur est volontairement pointé sur l’Europe. Ces millions de morts ont une raison : les richesses, le confort, la culture qu’ils rendent possible.
Le théâtre comme début d’un processus de résilience
Cet acte de réparation passe par la reconnaissance de la souffrance d’autrui et le devoir de vérité. Alors, les millions de victimes des richesses des sous-sols de l’Afrique centrale pourront peut-être trouver la paix, dans cette vie ou dans l’autre. Dans ce devoir de vérité, il met en lumière le rôle trouble des ONG, l’un des effets pervers de l’aide internationale.
Mais, avec la pièce Compassion, L’histoire d’une mitraillette, si l’histoire africaine est là, une fois encore, elle est racontée grandement par les autres. Le témoignage de Consolate apporte une caution morale à la pièce. Mais il laisse au spectateur le sentiment qu’il est en dehors de la pièce, comme s’il n’avait pas été prévu au départ. Toutefois Compassion aura au moins permis à Consolate de commencer à se regarder comme une femme noire, elle qui avoue avoir vécu dans le déni jusqu’à un passé récent. Elle envisage un workshop qui va durer deux ans à partir d’octobre prochain. En privé, cet atelier devrait l’aider à se réconcilier avec son histoire, de retourner au Burundi et de faire son deuil, loin des canapés de psy. En public, il va produire une œuvre sur la souffrance, la résilience et l’identité. Une guérison nécessaire pour que Consolate retrouve Ndaysaba, afin de cesser d’être cette feuille dans le vent qui essaie de s’accrocher à une branche dont la sève ne peut la nourrir.
Fiche technique
Conception, texte et mise en scène, Milo Rau
Avec Ursina Lardi et Consolate Sipérius