Villes. La nouvelle donne, JCDecaux, Paris, 2018, 115 p.
JCDecaux publie un élégant "cahier de tendances" consacré à la ville et ses évolutions probables. Le livre, car c'est un livre, et même un beau livre, luxueux, multiplie les idées innovatrices mais surtout illustre ces idées d'exemples, ce qui éloigne un peu les utopies démagogiques. Ville partagée, ville versatile, ville de la multitude d'initiatives : il s'agit de dépasser les idées générales, et généreuses, avec des exemples réalistes, puisque réalisés : l'Open Closet de Séoul pour faciliter la recherche d'un emploi (p. 51), les vergers urbains (Paris, p. 58), les cyclistes encouragés et salués par Copenhague (p. 75), la "ceinture aliment-terre" de Liège (p. 44), le privilège accordé au commerce local (la monnaie locale à Bristol, p. 45) entre autres. Le cahier aborde aussi les sujets qui peuvent fâcher : l'asphyxie de la ville par l'automobile (inutilisée pour 96% de son temps, les parkings occupant 20% de l'espace urbain, sans compter les trottoirs, p. 37). Une belle page de synthèse sur ce qui, dans la vie urbaine, est "en voie de disparition" (p. 82).
JCDecaux est parfaitement placé pour évoquer la ville : c'est le seul groupe média français de taille et d'expérience internationales. Actif dans la plupart des grandes villes du monde, il en recueille une connaissance pratique enviable et rare. De plus, la ville se vit comme un support de communication extérieure et de publicité, celle-ci contribuant au financement indirect des mobiliers urbains, des transports. C'est le cœur de métier de JCDecaux.
Plusieurs facteurs se conjuguent pour imposer une conception nouvelle de la ville : d'une part, la montée des périls liés à la pollution atmosphérique et sonore à laquelle un siècle de fascination automobile ont donné une ampleur dangereuse ; d'autre part, l'importance des données numériques disponibles en temps réel. La collecte et l'exploitation de données numériques d'observation - au moyen de multiples capteurs - des déplacements, de la pollution, du marché immobilier, du marché scolaire (les deux sont liés) permettent rendre les villes, sinon intelligentes, du moins intelligibles et d'en améliorer la gestion quotidienne.
Les auteurs invités pour détecter les tendances viennent d'horizons culturels divers, rafraichissants et souvent inattendus ; iconoclastes, ils mettent l'accent sur "l'humain au cœur du projet urbain" : rendre le piéton roi avec la "piétonnisation" des rues et des quartiers, promouvoir et généraliser les pistes cyclables, privilégier la proximité dans l'urbanisme commercial, assurer le retour des arbres, de l'eau dépolluée, du bois de construction, des animaux non domestiques... La transition énergétique remettra en question le pouvoir de l'automobile et de ses lobbies, conduisant inéluctablement vers davantage de transports publics de qualité.
Le livre donne à rêver pour mieux oser penser la vie en ville, c'est son objectif et il est atteint. Pourtant, rien de tout cela n'échappera au calcul économique et social, aux questions de financement et d'endettement. Le calcul du coût de certaines manifestations ne devrait-il pas seulement être évalué en dépenses (payées par les impôts des contribuables) mais aussi en pollution, en inconfort pour les habitants. Les données numériques le permettront cette synthèse.
Quid du tourisme : en calcule-t-on lucidement les bénéfices et les nuisances ? Quels choix touristiques ? Faut-il entasser des touristes sur des bateaux-mouches ou dans des bus pour visiter une ville au lieu d'en faciliter la visite à pied ou à bicyclette ? Dans certaines grandes villes comme Genève, les hôtels donnent à leurs clients des tickets gratuits pour les transports publics... Quid des compétitions sportives à grand spectacle, ces vaches sacrées ? Sont-elles un bien pour la ville ?
Quid des effets sur l'urbanisme de la livraison à domicile généralisée et gratuite ? Que peut-on espérer, mais surtout craindre, de "géants" numériques tels que eBay, Amazon, Uber, etc. ? Cette question renvoie à la fiscalité locale (cf. la récente décision de la Cour Suprême américaine quant à l'imposition locale du e-commerce).
Le problème politique du pouvoir urbain est éludé. Qui décide, qui gouverne les villes ? L'administration, les élus. Où s'arrête la ville ? Comment cohabitent pouvoir local, régional et national ?
Enfin, le cahier se tient délibérément loin des aspects techniques, des réseaux de l'internet des choses et des questions de données : qui doit détenir les données numériques de la ville, ses habitants, ses administrations, ses commerçants ? Ne devraient-elles pas être open source ? Quelle place accorder aux écrans dans la ville (DOOH), quelles dimensions, quelles créations ? Nouvelle donne, nouvelles données. On attend un prochain tome, plus technique.
Albert Asséraf, Directeur Général Stratégie, Data et Nouveaux Usages de JCDecaux conclut ce cahier en soulignant la nécessité de rompre heureusement avec le conservatisme pour imaginer sans cesse des solutions meilleures pour vivre en ville, "meilleures parce que collectives et tournées vers le bien commun". Indiscutable.