Turtle a de la chance : son père l’aime comme peu de pères aiment leur fille de quatorze ans. Turtle n’a pas de chance : son père l’aime comme peu de pères aiment leur fille de quatorze ans. Il est pour elle un « esprit immense, imposant, parfois généreux et parfois si terrifiant. » Le remarquable premier roman de Gabriel Tallent, My Absolute Darling, est l’histoire d’un amour excessif et, comme on le constate très vite, dévoyé. Quand le sentiment paternel devient désir de possession et fait obstacle à tout ce qui pourrait épanouir une jeune adolescente, à ce point prisonnière de leur relation qu’elle s’y sent souvent bien… A l’école, malgré l’attention avec laquelle l’observe Anna, une de ses enseignantes, Julia (son véritable prénom) est une élève qui semble ne faire aucun effort pour acquérir les bases requises. Il est vrai qu’elle a des occupations plus excitantes dans la nature dont elle est proche et en utilisant les armes que son père laisse à sa disposition à condition qu’elle s’entraîne à devenir une tireuse précise. Un des nombreux paradoxes de son éducation tient au fait que Martin, le père, est aussi un grand lecteur, en particulier de philosophie. Il voudrait que Turtle élève son esprit en même temps qu’elle forge son corps selon son modèle idéal. Daniel, le grand-père, semble avoir tout compris de ce qui se passe entre son fils et sa petite-fille. Il tente d’agir, avec autant de maladresse que le font d’autres personnes. Mais Turtle est sur ses gardes, elle défend son territoire presque autant que le fait Martin. Elle se ferme donc devant Papy presque autant que devant Anna. Seul Jacob, un garçon un peu plus âgé qu’elle, est sur le point de percer l’armure. En même temps, sans le savoir, il renforce la colère qui habite en permanence Martin, personnage pour le moins perturbé, et le pousse à une violence dont il ne sait pas vraiment si elle est nécessaire – elle s’impose à lui comme unique remède à des moments où il perd pied, voilà tout. Voilà tout est l’expression qui convient. Car, si quelques protagonistes adoptent une position morale en essayant de sortir Turtle du piège où elle est prise avec sa propre complicité, le roman contourne la question du bien et du mal. Il se contente d’exposer les faits et les attitudes sans les juger. Voilà ce qui fait la force d’un livre par lequel on est happé comme si le piège se refermait aussi sur le lecteur. Le lecteur, heureusement pour lui, n’est pas naïf et fera bien sûr la part des choses : l’apparente acceptation de sa situation par Turtle est en réalité une soumission engendrée par une véritable torture mentale dont la gamine, bien que résistante, ne pourra sortir, si elle en sort, sans en porter longtemps les marques. Gabriel Tallent est aussi fort pour installer un climat délétère que pour décrire la vie des plantes et des animaux, aussi habile à dessiner les portraits détaillés de ses personnages qu’à introduire, tout à coup, de grandes scènes d’action qui laissent pantelant. Les rythmes sont variés dans un roman où tout est bon.
Turtle a de la chance : son père l’aime comme peu de pères aiment leur fille de quatorze ans. Turtle n’a pas de chance : son père l’aime comme peu de pères aiment leur fille de quatorze ans. Il est pour elle un « esprit immense, imposant, parfois généreux et parfois si terrifiant. » Le remarquable premier roman de Gabriel Tallent, My Absolute Darling, est l’histoire d’un amour excessif et, comme on le constate très vite, dévoyé. Quand le sentiment paternel devient désir de possession et fait obstacle à tout ce qui pourrait épanouir une jeune adolescente, à ce point prisonnière de leur relation qu’elle s’y sent souvent bien… A l’école, malgré l’attention avec laquelle l’observe Anna, une de ses enseignantes, Julia (son véritable prénom) est une élève qui semble ne faire aucun effort pour acquérir les bases requises. Il est vrai qu’elle a des occupations plus excitantes dans la nature dont elle est proche et en utilisant les armes que son père laisse à sa disposition à condition qu’elle s’entraîne à devenir une tireuse précise. Un des nombreux paradoxes de son éducation tient au fait que Martin, le père, est aussi un grand lecteur, en particulier de philosophie. Il voudrait que Turtle élève son esprit en même temps qu’elle forge son corps selon son modèle idéal. Daniel, le grand-père, semble avoir tout compris de ce qui se passe entre son fils et sa petite-fille. Il tente d’agir, avec autant de maladresse que le font d’autres personnes. Mais Turtle est sur ses gardes, elle défend son territoire presque autant que le fait Martin. Elle se ferme donc devant Papy presque autant que devant Anna. Seul Jacob, un garçon un peu plus âgé qu’elle, est sur le point de percer l’armure. En même temps, sans le savoir, il renforce la colère qui habite en permanence Martin, personnage pour le moins perturbé, et le pousse à une violence dont il ne sait pas vraiment si elle est nécessaire – elle s’impose à lui comme unique remède à des moments où il perd pied, voilà tout. Voilà tout est l’expression qui convient. Car, si quelques protagonistes adoptent une position morale en essayant de sortir Turtle du piège où elle est prise avec sa propre complicité, le roman contourne la question du bien et du mal. Il se contente d’exposer les faits et les attitudes sans les juger. Voilà ce qui fait la force d’un livre par lequel on est happé comme si le piège se refermait aussi sur le lecteur. Le lecteur, heureusement pour lui, n’est pas naïf et fera bien sûr la part des choses : l’apparente acceptation de sa situation par Turtle est en réalité une soumission engendrée par une véritable torture mentale dont la gamine, bien que résistante, ne pourra sortir, si elle en sort, sans en porter longtemps les marques. Gabriel Tallent est aussi fort pour installer un climat délétère que pour décrire la vie des plantes et des animaux, aussi habile à dessiner les portraits détaillés de ses personnages qu’à introduire, tout à coup, de grandes scènes d’action qui laissent pantelant. Les rythmes sont variés dans un roman où tout est bon.