Alicia Dujovne Ortiz, Milagro Sala, l'étincelle d'un peuple, 2017.
Le livre d'Alicia Dujovne Ortiz n'est pas un résumé. C'est une introduction qui nous incite à aller voir plus loin, une enquête de terrain, un hymne à Milagro et à la femme dans ce qu'elle a de plus courageux, une ode aux peuples qui relèvent enfin la tête.
Contrairement à ce que dit le trait d'esprit, certes les Mexicains descendent des Aztèques et les Péruviens des Incas, mais les Argentins ne descendent pas tous du bateau. Tous ne sont pas issus d'une belle immigration européenne blanche. Avant que les Italiens et autres Hongrois débarquent sur le continent, il y avait des gens, en Argentine. Des Kollas, des Guaranis, des face d'Indiens, des peaux cuivrées, des mains de paysans, des adorateurs de la terre et du soleil, des qui parlaient aux arbres. Des que par la suite la colonisation a fait taire, a humilié, a méprisé, a tenté de faire oublier. Des qui se sont réveillés partout ailleurs, en Bolivie, en Équateur, mais qu'en Argentine on a pris un soin méticuleux à cantonner aux livres d'histoire. Des à qui on a nié l'existence au présent. Dans un même mouvement de négation de l'autre et d'invention d'un pays Européen outre-Atlantique, on a relégué les pauvres dans des quartiers qui ont tout de bidonvilles. Or, ces pauvres là se caractérisent par leur peau brune. Dans ces quartiers en marge de la ville, drogue, prostitution, violence ne sont que les conséquences d'un manque cruel de perspectives, du chômage, du désœuvrement, du découragement et de la honte intégrée en soi. Conséquence des années 90 et des politiques néo libérales qui ont privatisé chaque parcelle de terre du pays, on confisqué les bénéfices, ont permis aux plus riches de s'enrichir davantage pour enfoncer d'autant plus ceux qui, déjà, n'avaient pas grand-chose. Milagro est la voix de ce peuple là.
Milagro prend à bras le corps la résolution d'offrir à tous ce que seuls les riches possèdent : santé, éducation, travail. Sa première initiative consiste à distribuer les Verres de Lait aux petits qui partent souvent à l'école le ventre vide. Elle mobilise ainsi les jeunes, les occupe, les fait dévier de leur parcours tout tracé vers la drogue et la violence. Elle met les femmes à l'honneur, leur rend leur dignité. Et l'initiative prend de l'ampleur. Milagro comprend qu'il ne faut rien attendre des hautes sphères, qu'il faut agir par soi-même. Dans les quartiers pauvres de Jujuy, il y a des centaines de mains capables de maçonnerie, de plomberie, de peinture, de cuisine, de couture. Il y a même des instituteurs, des professionnels de la santé. Le mouvement Tupac Amaru - en hommage à l'Inca du même nom qui a organisé une grande rébellion contre l'envahisseur espagnol au 18ème siècle - se crée et se développe. Un espoir est en train de naître...
Sauf que la politique s'en mêle. Milagro crée son parti politique, devient députée, ce qui énerve son rival Gerardo Morales. Déjà, des accusations fallacieuses pleuvent sur la dirigeante sociale. Et puis, en 2003, Nestor Kirchner est élu président de l'Argentine et sa politique coïncide avec celle du mouvement Tupac Amaru, qu'il se propose d'aider, allant ainsi à l'encontre du néo-libéralisme ravageur qui fabrique tant de pauvreté. Kirchner débloque des fonds et permet ainsi aux écoles, aux garderies, aux centres de santé, aux logements, de voir le jour. Milagro mène les opérations, économise l'argent que le gouvernement lui donne, construit deux fois plus de choses que ce qui était prévu avec la même somme. Gerardo Morales prend la mouche, cherche à tout prix à faire taire ce mouvement qui discrédite son pouvoir. Le 16 janvier 2016, un an après l'arrivée de Mauricio Macri à la tête du pays, Milagro Sala est arrêtée.
Pourquoi est-elle emprisonnée, détenue sans jugement, arbitrairement ? D'abord, parce qu'elle a remis sur le devant de la scène tout un peuple de pauvres, de face bronzées, de mères célibataires et de drogués, qu'elle leur a donné leur juste valeur et qu'elle a prouvé qu'ils avaient du talent, que eux aussi étaient partie prenante de ce grand pays, qu'ils y avaient leur place ; ce que les classes moyennes et la bourgeoisie (sans parler des plus riches) exècrent le plus au monde, la racaille, les Indiens, les peuples colonisés, elle en a fait des citoyens. Ensuite, Milagro est devenue gênante : le mouvement Tupac Amaru a pris une telle ampleur qu'il a fait vaciller les partis politiques traditionnels, leur a ôté un peu de leur pouvoir. Enfin, parce qu'elle revendique les droits des peuples indigènes, qu'elle en a adopté les coutumes et les croyances et que, comble du malheur, c'est une femme. Une femme, vous vous rendez compte ? Une femme qui ne baisse pas la tête.
Cela fait donc plus de deux ans qu'elle est enfermée dans cette prison sordide. Et pendant ce temps, à l'extérieur, les trahisons vont bon train, souvent poussées par la peur. Ceux qui l'entouraient se sont retrouvés démunis face à Morales, lequel a fait vider les écoles, les centres de santé de tout leur matériel. Tout ce que Milagro avait patiemment construit, il l'a détruit. Finies, les piscines dans lesquelles les enfants qui n'y auraient jamais eu droit auparavant venaient s'ébrouer. Terminés, les soins dentaires et la rééducation pour les enfants handicapés. Au revoir, les ateliers, les chantiers, les coopératives, les multiples emplois de la fourmilière.
Y a-t-il un espoir de libération pour Milagro ? C'est ce dont sont convaincus les comités de soutien qui se sont formés dans le monde entier pour plaider sa cause. Et si elle sort, est-ce que tout sera encore possible ? Il faut y croire. Il faut encore avoir l'espoir que cette femme, volontaire, parfois autoritaire avec ses ouailles - mais une mère ne ferait-elle pas de même pour remettre ses enfants terribles dans le droit chemin ?- que ce visage de bronze et ce cœur d'or aura de nouveau l'opportunité de mener à bien son projet le plus fou : celui de l'égalité.
Ici un lien pour aider à la réalisation d'un documentaire et participer à son échelle à la libération de Milagro :
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