L’exposition "Talking about a revolution!" emprunte son titre à une chanson de Tracy Chapman. Parler de la révolution, donc, à défaut de la faire !
Les artistes conviés par Paul Ardenne à exposer au 22 Visconti en ce mois de mai 2018, cinquante ans exactement après Mai 68, ne sont pas tant des révolutionnaires, des activistes, que des "irréconciliés".
Impossible de tout commenter. Je voudrais d'abord pointer trois des oeuvres que l'on découvre sur la vue d'ensemble de la salle d'exposition. Et d'abord "I'm not on Facebook", 2009, une peinture acrylique sur bâche de 105 x 204 cm de Gianni Motti.
Né en 1958, Gianni Motti vit et travaille à Genève. Il s'intéresse en particulier à la société contemporaine et à ses enjeux politiques. A l'époque des "social media", l'artiste expose ici son refus de ces nouveaux moyens de communication d'essence totalitaire en utilisant la technique la plus ancienne : la lettre et la peinture.
On devine sur le mur de droite "24 heures de la vie d'une femme", 20 ans plus tard, 1994, de Michel Journiac. Né en 1935 il a fondé l'art corporel en France en 1969. Dans la série photographique 24 heures de la vie d'une femme, en 1974, il se travestit et mime les actes féminins de la vie quotidienne.
En 1995, 20 ans après, il réactive cette oeuvre pour l'exposition "féminin-masculin : le sexe de l'art" au Centre Pompidou.
"Je n'avais pas la prétention en m'habillant en femme pendant 24 heures de mettre à nu toute la complexité de la condition féminine."
Sur le mur du fond pend simplement un grand cliché relatant l'"Action éclairage", entreprise le 16 octobre 2017 par Petr Pavlensky. Né en 1984 à Saint-Petersbourg, cet artiste performateur russe dénonce le gouvernement de son pays dans des performances radicales, en utilisant son corps comme outil de protestation. Il n'a pas hésité à se coudre les lèvres et la photo, impressionnante, a fait le tour du monde.
Le 16 octobre 2017 il met le feu à la Banque de France, à Bastille, en pleine nuit pour, dit-il mettre l'éclairage sur la vérité que les autorités nous ont forcé à oublier. Il est encore aujourd'hui incarcéré dans une prison française.
Un peu plus loin on remarquera "Le Rouge", 1968, une sérigraphie de Gérard Fromanger sur papier bristol, composée de 10 éléments de 60x89 cm, exposée habituellement au Centre Pompidou. On reconnait le rouge du communisme, le bleu de l'autorité et le blanc qui renforce le contraste. La foule rouge gagne de plus en plus de pouvoir sur le tirage. Né en 1939 Gérard Fromanger est le fondateur de l'atelier de l'école des Beaux-Arts en 1968.
N'ayant pour la plupart aucune illusion, quant à la durabilité du capitalisme et de son système d'exploitation planétaire, ces artistes, et tous ceux qui sont exposés, expriment cependant l'espérance d'un mieux-disant politique et social tout en restant des témoins vigilants. Ayant connu Mai 68 (ou pas), ils ont soin d'éviter les postures 'ancien combattant" ou "héros de la liberté chérie" et privilégient en lieu et place un comportement, ainsi qu'une création qui révèlent leurs inquiétudes.
Conçue par Paul Ardenne, qui fut historien, avant de se consacrer à l’art contemporain, cette exposition propose à travers le regard d’une vingtaine d’artistes, une réflexion lucide sur "les scories de la Story 68" et le constat qu’en 2018, "le Grand Soir ne sera plus possible. Requiem pour la Révolution !" déclare-t-il. Pourtant, il nous met en garde : Ne rejetons pas l’événement. Abstenons-nous, notamment, d’aller dans le sens des opposants à la "Pensée 68", nombreux encore aujourd’hui, la plupart fossilisés déjà mais toujours prompts à voir dans les événements du printemps 1968, pour le meilleur des cas, la poussée d’acné de citoyens frustrés, et dans le pire, le début du commencement de l’abaissement moral de la France éternelle…
S’il s’agit bien de rendre grâce, aujourd’hui, aux derniers héros de la vraie révolution libertaire – les lanceurs d’alerte, les wikileakers, des ONG telles que Human Rights Watch ou Greenpeace, certains engagés recrutés dans l’activisme altermondialiste –, reste qu’il convient aussi de prendre la mesure d’une réalité où Cristiano Ronaldo, un footballeur, a remplacé Che Guevara, ancienne icône de la révolution permanente.
Historien et historien de l'art, commissaire d'exposition et écrivain français, Paul Ardenne enseigne l’histoire de l’art contemporain à l'université d'Amiens. Il poursuit à travers ses nombreuses publications, un travail sur les formes culturelles d'aujourd'hui, sur l’identité, le corps, l’espace-temps et leurs intrications réciproques. Il collabore aux revues art press, archistorm et inter et est commissaire indépendant pour des expositions internationales.Le 22Visconti est un Espace d’art indépendant au coeur de Saint Germain des Prés, créé sur une idée de Frank Perrin et Armelle Leturcq. L'espace est dédié aux avants-gardes sous toutes ses formes. Il accueille des projets curatoriaux originaux, construits autour d’artistes internationaux.Il organise dans le cadre du Parcours Saint-Germain, un programme de performances et de conférences avec, le jeudi 31 mai à 19 heures, une performance de Shadi Alzaqzouq.
Le samedi à partir de 1è heures ce sera une conférence proposée par Camille Frasca et Antoine Py à propos de l'émergence post 68, suivie d'une performance à partir de 20 heures.
Enfin le samedi 9 juin à 17 heures une discussion animée par Paul Ardenne, sous forme de table ronde ouverte avec les artistes pour débattre "de la censure aujourd'hui..."
Talking about a revolution!
Avec Adel Abdessemed, Andrei Molodkin, Arnaud Cohen, Bruno Serralongue, Burak Arikan, Diana Righini, Elena Kovylina, Filip Markiewicz, Frank Perrin, Gérard Fromanger, Gianni Motti, Jean-Claude Jolet, Jimmie Durham Urham, Joseph Beuys, Michaela Spiegel, Michel Journiac, O’Maurice Mboa, Oksana Shachko, Petr Pavlenski, Shadi Alzaqzouq et Véronique BourgoinEntrée libreDu 17 Mai au 17 Juin 2018Au 22Visconti – 22 rue Visconti 75006 PARIS www.22Visconti.com Tél. : 33 (1) 46 33 96 12