Mercredi 6 juin, Joann Sfar est venu dans les locaux de Babelio à la rencontre de ses lecteurs pour présenter sa nouvelle bande dessinée Aspirine, publiée aux éditions Rue de Sèvres.
Joann Sfar est auteur et scénariste de nombreuses bandes dessinées, dont les séries Professeur Bell, Petit Vampire, Pacsin et Le chat du rabbin, publiées respectivement chez Delcourt, L’Association et Dargaud. Il est aussi le réalisateur du film Gainsbourg, vie héroïque (2010), Le chat du rabbin (2011 en film d’animation et 2018 en film), Petit Vampire (2018), etc., mais aussi écrivain de romans et de nouvelles.
L’artiste est né à Nice et dit avoir commencé à se sentir comme un vrai parisien après avoir représenté un Paris contemporain à travers sa bande dessinée Le chat du rabbin. Il a suivi des cours à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-arts de Paris qui se situe en face du Quai Malaquais sur lequel il était facile de trouver de l’inspiration pour dessiner. « J’ai commencé à dessiner Paris comme quelqu’un qui y habite, et c’est à ce moment-là que je m’y suis senti chez moi ».
Résumé de Aspirine:
Aspirine, étudiante en philosophie à la Sorbonne a la rage, elle ne supporte plus de revivre sans cesse les mêmes épisodes de sa vie pourrie. Et ça fait 300 ans que ça dure car Aspirine est vampire, coincée dans son état d’adolescente de 17 ans. Elle partage un appartement avec sa sœur Josacine, heureuse et sublime jeune femme de 23 ans, qui elle au moins, a eu l’avantage de devenir vampire au bon âge. En perpétuelle crise d’adolescence, elle passe ses nerfs sur son prof, sa sœur et tous les hommes «relous » qui croisent sa route. Assoiffée de sang, elle n’hésite pas à les dévorer (au sens propre) ou les dépecer. C’est même devenu un rituel avec les amants que sa jolie grande sœur collectionne. Malgré tout, elle attise la curiosité d’Yidgor ado attardé, un étudiant de type « no-life » : vaguement gothique, légèrement bigleux et mal peigné… avec comme kiff dans la vie, le fantastique et la légende de Cthulhu…
Les personnages d’Aspirine et de sa sœur Josacine
Le personnage d’Aspirine n’est pas nouveau et a déjà été croisé dans d’autres œuvres de Joann Sfar. « J’ai commencé à écrire sur Aspirine lorsque j’avais vingt ans. Elle représentait le pur cliché gothique et je m’amusais à la dessiner en train de se mettre des coups de couteau avec sa sœur ». Et comme c’est parfois le cas avec les personnages abandonnés en cours de route par certains auteurs, Aspirine commençait à lui manquer. « J’avais inventé ce cliché de l’adolescente qui avait le même âge depuis 300 ans et je voulais la faire revenir aujourd’hui dans un quotidien plus compliqué. Je n’ai jamais vu une jeunesse qui aime aussi peu son époque. C’est une génération qui s’adapte mais dont tous les débats qu’on lui fait tomber sur les chaussures la dégoûtent. J’essaie de faire l’album le plus léger et drôle possible et que mon héroïne parvienne à gérer cette colère permanente contre sa société. » Aspirine est une bonne représentation de l’adolescente épuisée et combattante du XXIe siècle.
Joann Sfar a évoqué la difficulté de se mettre dans la tête d’une adolescente, et surtout d’aborder la question des règles féminines. « Ma fille me dit toujours que je ne comprends rien ; imaginez un vampire qui a ses règles depuis 300 ans ! Moi-même n’étant pas une femme, il m’est difficile de décrire ce phénomène naturel ».
Concernant Josacine, la sœur d’Aspirine qui apparaît aussi dans d’autres histoires antérieures de l’auteur, elle n’a pas été choisie comme héroïne de la bande dessinée car « elle a ‘trop peu de problèmes’ pour en faire le protagoniste central d’une histoire. Elle est coincée à un âge où tout va bien, donc il est ardu de créer une situation intéressante autour de son personnage ». Pour créer ces deux sœurs, Joann Sfar dit s’être inspiré des films de Jean Rollin dans lesquels les thèmes du vampirisme et de l’érotisme étaient prédominants et où l’on pouvait voir de jeunes femmes tuer des messieurs.
Egalité homme-femme : un débat compliqué pour les auteurs
Dans Aspirine, Joann Sfar a souhaité faire apparaître de nouveaux personnages, comme celui de Yidgor , qu’il a créé en s’inspirant du personnage de fiction Albator de Leiji Matsumoto, et ceux des amants de Josacine, la sœur d’Aspirine, car il éprouve de l’attachement et un grand intérêt aux polémiques d’aujourd’hui sur l’égalité des sexes, même s’il s’interroge sur la liberté des auteurs à pouvoir écrire sur les sujets de leur choix. « Nous vivons en ce moment un combat important pour l’égalité homme-femme, pour lequel je participe activement. En revanche, ce même combat est un peu une chasse à la sauvagerie de l’imaginaire car un auteur doit contrôler tout ce qu’il écrit. Il est dommage que nous ne puissions plus rédiger ce qui nous passe par la tête, de manière fictive, sans que cela ait un impact direct sur les problèmes de la société et que des gens soient touchés personnellement ».
Procédé d’écriture
L’auteur retire généralement de ses récits les dix premières pages pour rentrer dans le vif du sujet, aller directement au cœur des choses. Même si c’est peut-être une erreur car elles représentent l’instantanéité et les idées irréfléchies de son créateur, ce qui rend souvent le début d’un récit plus brut et spontané. De plus, Joann Sfar dit devoir se focaliser sur seulement un seul interlocuteur lorsqu’il écrit et dessine, et c’est son éditrice, Charlotte. Joann Sfar indique ne pas avoir de réelle méthode d’écriture mais essaie de se mettre le plus possible dans la peau de ses personnages. « Lorsque j’écris une BD, j’improvise page après page. Pour un roman, j’écris deux fois plus de pages que celles qui vont être retenues pour le résultat final. Il y a une bizarrerie dans la bande dessinée qui consiste à écrire 46 pages. Ce que j’aime dans cette nouvelle collection de chez Rue de Sèvres dans laquelle Aspirine est publiée, c’est qu’il n’y a pas de limite de pages, c’est open-bar ! »
Procédé de création artistique
L’artiste, qui dessine huit à dix heures par jour, propose ses dessins sans couleurs à sa coloriste fétiche Brigitte Findakly, qui parvient à raconter ce que l’auteur veut transmettre dans sa bande dessinée en jouant avec les couleurs. « J’ai compris depuis longtemps que l’intérêt dans une bande dessinée est le mouvement dans le dessin et pas seulement le dessin en lui-même. La révolte que j’essaie d’exprimer à travers les personnages de mes bandes dessinées ressort grâce au mouvement animé que les couleurs vont leur attribuer ». Joann Sfar, qui réalise ses œuvres généralement en utilisant de l’encre et une plume, a été obligé pendant une période de changer de procédé car son chat jouait sans cesse avec ses outils de travail. Il a depuis un endroit fermé où il peut dessiner tranquillement.
Une fascination pour les vampires
L’écrivain est fasciné par les monstres depuis toujours, et le fait que certains, comme par exemple les vampires ou les zombies, puissent revenir à la vie le subjugue. Cette fascination s’explique par le fait que l’auteur a perdu sa mère à un âge très jeune et il a voulu se sentir entouré en créant des monstres imaginaires qui étaient ses amis et complices. « Avoir de tels personnages imaginaires autour de soi peut remplir une vie très avantageusement, et de ce fait, on peut se sentir moins seul. Normalement, le monstre est celui que l’on montre du doigt et sur qui l’on veut s’acharner, la norme sociale l’exigeant. Or l’artiste britannique Clive Barker a bercé mon enfance en donnant la parole à ces monstres et en les rendant ainsi attachants et plus réels ».
L’auteur souhaite dorénavant écrire « fin » lorsqu’il termine d’écrire et de dessiner une bande dessinée car il ne veut plus promettre à ses lecteurs qu’il y aura une suite. « Je ne souhaite plus me retrouver dans la situation d’être forcé à faire quelque chose que je ne veux pas faire ».
Les lecteurs qui ont aimé la bande dessinée Aspirine peuvent s’attendre à retrouver leur héroïne vampire dans un second tome, sur lequel Joann Sfar est déjà en train de travailler. Petit aperçu : le personnage d’Yidgor sera coiffé d’une façon très différente… ».