Maintes fois cette large étude de la vie des laminoirs fut opposée à Germinal, non sans l’intention secrète et maligne d’écraser sous le grand nom de Zola celui de Lemonnier. On n’oublie qu’une chose en ce cas, c’est que Happe-Chair est historiquement antérieur à Germinal. La rencontre de deux romanciers en un thème presque identique fut fortuite. « Quand on a fait Happe-Chair – fut-il écrit – on peut être tranquille dans le naturalisme. » Si on franchit le cercle étroit des écoles et des programmes pour restituer au mot naturalisme sa large signification, si on en use pour qualifier cet immense mouvement vers la vérité et l’humanité qui caractérise l’ère moderne, certes, Happe-Chair est l’un des monuments du naturalisme. D’humanité surtout l’œuvre déborde. La splendeur lyrique des tableaux de l’usine en travail ne parvient pas à étouffer la puissante émotion humaine dont ces pages de douleur sont lourdes. La vie d’un laminoir n’est que le cadre d’une action où évolue, de la tendresse jeune aux plus sombres péripéties du malheur et du vice, un couple ouvrier. À travers ce ménage que désagrège l’indignité de la femelle, une humanité de durs-peinants saigne et dénombre ses plaies. Une immense pitié fait tressaillir cette farouche épopée du travail. Lemonnier se manifeste ici avec toutes ses puissances d’artisan aux larges épaules, sanguin et riche. Il est certains épisodes de Happe-Chair qui, vis-à-vis de l’œuvre entier, se maintiennent parmi les beautés définitives, tels que le châtiment du premier adultère de Clarinette, l’explosion de l’usine, ou le pourchas nocturne à travers les rues de l’épouse crapuleuse. Et le livre demeure en son ensemble, l’une des pages fortement représentatives de l’écrivain.
2,99 euros ou 9.000 ariary ISBN 978-2-37363-073-2 Lire un extrait