Si la certitude du sujet, dans son immobilité et son enfermement, confine à une épargne qui ressemble à la mort, à l’inverse, le poème de Sophie Brassart, qui prend souvent appui sur le distique ou le tercet, se méfie de l’envol et de la hauteur surplombant les combes. Les mots s’inscrivent dans la fragilité et la vulnérabilité des événements périphériques, loin de toute fixation au négatif, dans une sécheresse (qui fut celle d’un André du Bouchet) qui préfère la délicatesse de ce qui fait silence au bruit et à la grandiloquence des postures et de l’effusion qui ne sont jamais la conséquence d’un ressenti profond mais bien souvent la marque d’un ressentiment vis-à-vis du temps et de son « il était ».
La pensée, en effet, n’a-t-elle pas besoin de silence et la poésie n’est-elle pas un cheminement dans ce silence ? La parole poétique n’est-elle pas un apprentissage du vide ?
Je n’attends pas de nouveaux pays
Devant moi se dresse
une montagne de feuilles sèches
Elles s’enchevêtrent autour de mes veines
Je ressemble à l’exil
Au milieu du silence
Je ressemble au bois qui ruisselle
Il contient
La route vide
Est-ce au-dessus du vide
J’attends ce qui jaillit
Le réel se manifeste par sa défaillance et même son absence. L’écriture creuse (combe) par usure la dégradation même de tout vécu. Les paradoxes de la loi (le recueil est dédicacé au père) et du désir d’y échapper dans l’émergence d’un silence qui parle et qui, en parlant, s’affirme en solitude, s’inscrivent dans un oxymore : je suis celle qui nait des pierres, autrement dit, je suis celle qui ruisselle de vie au point lumineux de l’oubli de la dette envers les lois du langage ; langage que je respecte pourtant et intègre par souveraineté et contrôle de mes propres sensations.
Peintre, Sophie Brassart sait mettre l’accent sur la dimension spatiale de la traversée, sur sa surface, s’interdisant tout compromis dans le champ de la représentation simplifiée. La parole poétique suspend la prose, tranche par condensation l’emphase molle de tous discours spectaculaires. Néanmoins, le chant dans sa fluidité et son accélération, ne cesse de retentir et de s’élever, dans l’orage, dans la pensée de l’orage, pour atteindre, par vibrations ténues, la beauté qui n’est que de passage.
En sa gorge ma maison interpelle :
Vois d’où procède le rivage
où frisonne encore ton cœur
Je suis celle qui nait des pierres
Ammonite quartz grenat ont fleuri
mes mains de silence
Je dis la fille du vent & de l’orage
qui s’élève
Pour que tu franchisses le seuil
Pascal Boulanger
Sophie Brassart, Combe, préface Anne Gourio, éditions Tarmac, 2018, 52 p., 12€.