Peu de mots, en vérité, nous hissent assez haut pour exprimer ce que nous ressentons à la lecture du rapport annuel publié par le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR). Nous touchons là l’histoire dans ce qu’elle a parfois de plus froid, mais dans toute la noirceur de sa réalité jamais réductible à des chiffres. Et pourtant. Le nombre de réfugiés et de déplacés suite aux conflits dans le monde a atteint, en 2017, un nouveau record dont le plafond ne cesse de s’éventrer depuis cinq ans: 68,5 millions. Vous avez bien lu. Derrière cette statistique accablante –soit la totalité de la population française!–, il y a des visages, des destins, des vies brisées. La moitié de ces humains en errance sont des enfants. Et nous devrions tourner nos regards?
La maudite aventure de l’Aquarius hantera durablement les consciences européennes. En violation des conventions internationales, du droit maritime et des principes les plus élémentaires dus aux personnes, les dirigeants ont délibérément laissé l’Aquarius et ses 629 exilés dériver dans la souffrance, la faim et la soif. Une honte absolue. Minables responsables européens, incapables de s’inventer un magistère éthique sur la scène internationale en plein fracas géopolitiques. La chancelière recule, l’Italie bascule dans l’horreur et, chez nous, en pleine discussion de l’odieux projet de loi asile-immigration, la politique du gouvernement en la matière provoque des haut-le-cœur… Le nouvel exécutif espagnol et les mairies progressistes du pays auront au moins sauvé l’honneur.
Pas question d’affirmer ici qu’il est simple d’accueillir. Mais nous parlons d’êtres humains. Et les défis humains obligent l’humanité tout entière. Il existe, par exemple, un invariant historique propre à la France: jamais dans notre histoire, en particulier au XXe siècle, la société ne s’est effondrée ni même affaiblie –au contraire– lorsqu’il fallut accueillir une part de nous-mêmes. La France est donc observée. Et nous désespérons qu’elle ne soit pas à l’initiative pour conjurer ce que devient le monde sous nos yeux: une planète de réfugiés.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 20 juin 2018.]