Pour moi, le sprint est mort un soir d'été 1988 à Séoul. Pendant trois jours, "Benoïde" Johnson avait fait la Une des journaux de la planète, après son
ébouriffant record du monde du 100m et sa médaille d'or olympique remportée en finale sur la piste coréenne. Meilleur sprinter de tous les temps le samedi, paria le mardi : contrôlé positif aux
stéroïdes avec des doses à vous tuer un cheval, "Johnson Imperator" devenait d'un coup "Ben le Maudit". Rude retour sur terre pour les doux rêveurs, dont, naïf, je faisais encore partie…
Ce jour-là, je jurais, mais un peu tard comme l'écrit La Fontaine, que l'on ne m'y reprendrait plus. Ben Johnson et ses muscles
gonflés à l'hélium n'était pas le seul en cause. Rappelez-vous son homologue féminine, Florence Griffith Joyner, dont la voix avait étrangement mué en quelques mois à l'approche des Jeux. Avec
son organe d'une mâle profondeur, elle faisait penser à un fumeur de Gitanes impénitent égaré parmi les petits chanteurs à la Croix de bois. Grâce à ces deux-là, le sprint connaissait son affaire
Festina avant l'heure, mais, bizarrement, on ne lui en tint pas trop rigueur. Au fil des ans, la fourrière allait pourtant se remplir de pittbulls véloces comme des lévriers, tombés pour abus de
substances variées.
Plutôt que de croire que le prochain sera le bon, que ses jarrets tricoteront à l'eau claire, je boycotte donc les épreuves de
sprint. Marre de l'arrogance des ténors de la spécialité débordant de testostérone. Gavé à en gerber de leurs mimiques ridicules sur la ligne de départ, langue sortie, têtes
dodelinantes, poses grotesques de culturistes et masque de "killer" ou supposé tel. Je préfère me priver de quelques moments d'émotion en compagnie de ces phénomènes de foire, plutôt que
de garder en bouche pendant des jours le goût de leurs "exploits" frelatés. Que les Green, Gatlin, Gay et autres nouveaux héros courent plus vite que leur ombre et se répandent en belles phrases,
provocatrices ou apaisantes, en fonction de l'attente de leurs interlocuteurs du moment. Qu'ils continuent de bondir des starting blocks vers les médailles, les records ou mieux, les
lingots d'or exhibés par la Golden League comme pour mieux rappeler que dans cette spécialité surmédiatisée, on est là avant tout pour la gloire, les paillettes, le pognon, façon clip de
rap, avec joncaille, bagnoles de sport et pouffiasses…
Le plus surprenant, c'est que nos musculeuses locomotives trouvent toujours des thuriféraires peu regardants dans la presse
sportive. Ceux-là même qui les condamnent lorsque les tubes à essai rendent leur verdict, sont les premiers à les faire rois, entretenant à longueur de lignes cette obsession du
record à tout prix plutôt que de la victoire, à l'origine de toutes les dérives. En se battant contre le chrono plutôt que contre des adversaires on en arrive, c'est fatal, à ne plus supporter
les limites humaines. Exemple navrant et récent dans un article consacré dimanche à la nouvelle idole du sprint américain, Tyson Gay, dans les colonnes de notre quotidien sportif national.
Conclusion du journaliste : la vedette des sélection US sera t-elle bientôt sous les "9"6" ? Et pourquoi pas un jour sous les neuf secondes ? Tout est toujours possible à en croire
Victor Conte, l'homme de l'affaire BALCO, qui rêvait de donner le jour à l'homme le plus rapide de l'histoire. Qu'importe le flacon, pourvu que l'on ait l'ivresse…