… La ballade de Chambolle : Cartes IGN 2620 E et 2621 E
Calé au fond de sa combe, Jussy, pratique
De là, une petite rue en pente rejoint le chemin qui, grimpe vers le plateau en passant sous les coteaux de la Belle Fille, de Vaubrefin et de la Montagne. Suivez le. Des vignes jadis poussaient sur ces pentes Le phylloxéra et de la concurrence des gros rouges venus du Sud les en ont chassées. On passe donc sous la friche de la Côte d’Or sans voir d’autres ceps que ceux, sauvages et peu productifs qui poussent leurs sarments sur des buissons de noisetiers ou de sureaux.
Grand Dieu qué métier d’misééére
Que d’êt’ vigneron
Toujours à fouiller la teeeerrre
En toutes les saisons
J’aurons d’largent plein une toune
Et pis qu’un baron
Qu’on n’dirait pas c’est eune houme
Mais un vigneron….
Comme il fallait bien vivre, les vignerons de jadis sont devenus producteurs de fruits. Ils ont planté des vergers : noyers, pruniers et surtout cerisiers. Aujourd’hui le vignoble regagne peu à peu le terrain perdu, mais les arbres sont toujours là. Leurs longues rangées, alignées à la grenadière, montent vers les crêtes comme les grognards du Petit Tondu, à l’assaut du plateau d’Austerlitz.
Surgissant du bois, le chemin débouche d’un coup sur le plateau. Dans les jardins des villages, les lys viennent de fleurir. Tous les paysans vous diront qu’il reste trois semaines avant le début des moissons. La piste qu’il faut prendre à main gauche, en direction du Sud et de la vallée du Jonc, court donc entre des champs de blé et d’orge presque mûrs. Le vent y dessine ses ondes et, l’agriculture raisonnée ayant redonné une petite place aux « mauvaises herbes », bleuets et coquelicots fleurissent au milieu des épis. Ne manquent que les marguerites pour composer un bouquet à la fois patriotique et champêtre. On s’en consolera en ne choisissant pas entre le bleu et le rouge. Pour une fois d’accord, ils rappellent au marcheur nostalgique, des bribes d’airs anciens et des souvenirs dont il ne garde ni regrets ni remords.
« Mes souliers sont rouges
Adieu mes amours
Mes souliers sont rouges
Adieu pour toujours… »
Ici, chacun trouvera cerise à son goût : cœur-de-pigeon ventru et sucré, montmorency acide comme un matin de printemps et ces guignes, presque noires, sans lesquelles il n’est pas de clafoutis digne de ce nom. Quand l’année est bonne, on en fait du kirsch. C’est un alcool élégant, parfumé et fin qui n’a rien à voir avec le tord-boyaux, produit infâme de la chimie et du mercantilisme que des négociants peu scrupuleux vendent sous le nom de kirsch fantaisie.
Laissons ces aigrefins à leurs louches magouilles et traversons la départementale 85. La piste continue, entre colza, froment et avoine jusqu’à un croisement avec une draille qui arrive directement de la métairie Foudriat. Là, on s’engage à droite dans le chemin des Eboulis jusqu’à la corne d’une vigne où sur la droite, un sentier court au flanc de la côte de Mauseconde avant de plonger droit sur Migé. Courez et plongez avec lui.
Après les dernières maisons, des potagers occupent la bande de bonne terre que les siècles ont amassée au fond du vallon.
Dans les jardins d’mon père
Les lilas sont fleuris
Tous les oiseaux du monde
Viennent-y faire leurs nids
Auprès de ma blonde
Qu’il fait bon, fait bon, fait bon
Auprès de ma blonde qu’il fait bon dormir…
La caille, la tourterelle, et jolie perdrix n’enchantent pas les jardinets de Migé. En compensation, des retraités y binent la pomme de terre et le haricot à moins qu’agrippés à leurs motoculteurs, ils ne retournent leurs plates-bandes. Parfois leurs femmes les accompagnent. Elles coupent la salade du dîner, arrachent deux oignons blancs, cueillent les brins de persil et le thym d’un bouquet garni, ou composent des gerbes où le pied d’alouette voisine avec la rose et le lys tigré. Absorbés qu’ils sont par leurs tâches, ils ne vous voient pas monter jusqu’au lacet du Vau Bernin où vous quittez le bitume pour retrouver l’herbe et les cailloux d’un chemin qui à travers le Bois des Creusy vous ramène sur le plateau.
Encore deux cents mètres entre des champs de céréales et voilà une large piste. Tournez à gauche et, sans vous laisser tenter par les sentiers et les chemins creux qui s’en vont tantôt vers la vallée de l’Yonne, tantôt vers les collines de Forterre, avancez tout droit Sud Sud-Ouest.
Après les taillis qui dominent la côte de Nanteau, un énorme roncier borde le talus. Notez bien l’endroit, les centaines de fleurs autour desquelles bourdonnent des dizaines d’abeilles promettent pour cet automne une belle cueillette de mûres. Voilà qui laisse un peu d’espoir aux amateurs de confitures et de gelées justement démoralisés par la maigreur prévisible de la production de leurs arbres fruitiers.
Prom’nons nous dans les bois
Pendant que le loup n’y est pas
Si le loup y était
Il nous mangerait
Mais comme il n’y est pas
Il nous mangera pas
Loup y es-tu ? M’entends-tu ? Que fais-tu ?
Peu de chance qu’une voix réponde « Je mets ma chemise ! » Encore moins « Je prends mon grand sabre et je sors du bois ! » Le Mercantour est loin. On peut donc chantonner la vieille comptine sans risquer de mauvaise rencontre. Au pire, un chevreuil débuchera dans un froissement de feuilles et de branches brisées. A peine, si on aura le temps d’apercevoir sa serviette blanche, il aura disparu. Quant aux sangliers, à cette heure ils dorment dans leurs bauges et c’est très bien ainsi.
Quand on sort du couvert, le sentier hésite un peu entre lisière et champ. Le temps de respirer le parfum du seringa qui buissonne contre un grillage chaque année plus symbolique et, en quelques hectomètres, la départementale vous amène au parc en réduction qui offre au passant, ses bancs, son ombre et ses pelouses bien tondues. C’est un endroit où casse-croûter à l’aise, en se demandant, avec une pointe d’inquiétude, s’il était vraiment raisonnable de garnir d’une telle épaisseur de rillettes les sandwichs tirés du sac.
La traversée de Val de Mercy offre quelques surprises que vous aurez plaisir de découvrir. Une fois que vous aurez atteint l’église, engagez vous, sur la gauche, dans la rue que borde le mur d’un parc qui entoure la grosse bâtisse que le patriotisme local a décoré du titre de château.
Très vite la rue redevient chemin. Il grimpe insensiblement au fond d’une vallée en miniature. Comme on est en Bourgogne et que la nature y cultive la fantaisie, l’adret et l’ubac se moquent des règles les mieux établies. Sur Féchot et Gros Chêne qui regardent au Nord, s’étendent des champs cultivés tandis que la côte de la Fontaine Daie offre au Sud, un enchevêtrement de taillis. Puis la pente s’accentue et en arrivant sous le Mont Faucon qui culmine à l’invraisemblable altitude de deux cents quatre-vingt trois mètres, la vigne et les cerisiers remettent les points cardinaux d’accord en occupant également les deux côtés du chemin.
Derrière chez nous il est une montaaagne
Moi mon amant nous y montions souvent (bis)
Tradéri tradéri déra lala la la lala la (bis)
Les amants, on s’en doute, peuvent monter aussi souvent que le cœur leur en dit au sommet du Mont Faucon. Quoi qu’ils y fassent, ils en redescendent par la combe de Montifaut qui les conduit tout droit à Coulanges la Vineuse. Faites comme eux ! Contournez par le Nord le bourg qui échangé ses remparts contre deux rangées de tilleuls. Saluez à votre droite les vignes de la Terre Rousse et de Devant la Ville qui produisent ces rouges légers, fins et élégants qu’il fait si bon boire « montant de la cave » par un beau soir d’été.
Sainte Camille venait-elle se promener jusqu’aux Lignères ? Sans doute, si elle aimait le bleu des fleurs du lin qu’on y cultivait jadis. Aujourd’hui, les randonneurs qui prennent, sur la gauche, le chemin qui va les mener dans la vallée de Chanvan puis sur la côte de Flamery traverseront des champs et jachères avant de retrouver les cerisiers à la Croisotte.
Mais il est bien court, le temps des cerises
Où l’on s’en va deux, cueillir en rêvant
Des pendants d’oreilles
Cerises d’amour aux robes pareilles
Tombant sous la feuille, en gouttes de sang
Mais il est bien court, le temps des cerises
Pendants de corail qu’on cueille en rêvant.
Ne restent plus que quelques centaines de mètres d’une paisible descente pour gagner Jussy. Vous pouvez donc terminer en baguenaudant de la droite à la gauche de la route et d’un cerisier à l’autre en chantonnant les couplets la chanson de Jean-Baptiste Clément et d’Antoine Renard. Depuis l’époque de la Commune et avec l’aide de l’INRA, la saison des cerises s’est allongée de façon conséquente. On trouve maintenant, des Edelfingen jusqu’au début du mois d’août. Voilà qui vous laisse le temps de partir seul, à deux, ou à plusieurs, cueillir (avec modération, nos vergers ne sont pas un super marché) quelques pendants d’oreilles. Pour finir, quand vous traverserez le village par les ruelles qui vous ramèneront à votre voiture, il est presque impossible que vous ne tombiez pas sur l’éventaire improvisé où une jeune femme souriante ou un grand ado timide proposent aux gourmands de tous âges des monceaux de cerises cueillies du matin. Elles sont brillantes, fraîches, savoureuses toutes pleines du bonheur de vivre. Laissez-vous tenter ! En croquant tout à l’heure les fruits que vous venez d’acheter, vous retrouverez, presque, la saveur inimitable de ceux que vous avez grappillés tout au long de la journée. C’est un plaisir qui vaut bien quelques euros. Et maintenant, tous en chœur :
J’ai chanté Bacchus et l’Amour
Car je vois que chacun les aime
Maintenant c’est à votre tour
De reprendre la vieille rengaine
Accourez filles et garçons
Ecoutez bien notre musique
L’esprit le plus mélancolique
Se réjouit à nos chansons
Bonnes vacances à tous.
Chambolle (**)
(*) Marmottes : variété de cerises propre à l’Auxerrois et ainsi nommées en mémoire d’un paysan mythique, le Père Marmotte, qui en aurait été l’obtenteur. Principal titre de gloire : ont été servies au repas du couronnement la reine Elisabeth II.
(**) Les vingt huit kilomètres de cette balade peuvent aisément être raccourcis en allant directement de Migé à Val de Mercy par le Chemin des Laves et la côte de Vauluison. Ensuite, de Val de Mercy à Coulanges la Vineuse on prendra tout droit la petite route qui, par les Chasières et la Gravière arrive à la vallée de Boivinette. Moyennant quoi, la boucle ne mesure plus que dix neuf petits kilomètres. Les deux itinéraires peuvent être parcourus en VTT ou VTC.