Une grande cuisine française avec les touches personnelles et les petits twists de génie de Philippe Labbé.
Sans vouloir nous mêler de ce qui ne nous regarde pas, les voix de Dieu (guide rouge) étant impénétrables, mais tout de même. Quand vous êtes une nouvelle fois confronté à la cuisine de Philippe Labbé, au cours d’un déjeuner éblouissant en tous points, on peut naturellement se demander ce qui s’est passé. Quel est le problème ? Comment prendre une telle décision ? La raison n’a pas de réponse. Le chef a, depuis des années, transporté ses deux étoiles de Eze Village à Paris au Shangri La. Sa cuisine, aujourd’hui et depuis son arrivée à La Tour d’Argent, est la même sinon plus aboutie encore. Le voila, avec son unique étoile, à égalité de traitement avec n’importe quel petit japonais qui démarre à Paris ou au même niveau qu’une armada d’étoilés parisiens, genre Mavrommatis (respect par ailleurs). Une punition ? Une revanche ? Une ombre au tableau ? En tout cas, l’assiette parle d’elle même et c’est finalement l’essentiel.
Et quel beau discours elle nous donne cette assiette. Quel beau langage. Philippe Labbé est un maitre, on le sait depuis longtemps. Un homme de précision, de perfection, d’amour du travail impeccable tant sur le plan de l’esthétique du plat, de sa construction, que du génie des alliances des saveurs. Ses nouveaux plats, que l’on trouve surtout dans son nouveau grand menu du déjeuner, mais aussi dans sa carte, sont flamboyants.
Même si il est difficile de ne s’intéresser qu’à l’assiette dans ce lieu éternellement magique et qui devient plus humain, accueillant, naturel, sous la houlette d’André Terrail, tout en retenue et en distinction non distanciée, la cuisine de Philippe Labbé retient maintenant l’essentiel de l’attention.
Dès les amuse-bouches le ton est donné, le style est là. Une petite merveille à base de betterave et chèvre frais, une bouchée et puis s’en va mais le goût demeure, insistant dans sa délicatesse.
Des œufs de truite en mousseline et chips d’encre de seiche, mayonnaise aux herbes.
Même approche étonnante et évidente avec Navet Daïkon, betterave, oignon rouge, en harmonie parfaite et d’une beauté incandescente sur des tons de rouge.
Beurre magnifique de chez Le Ponclet (breton), pains au choix, et on peut attendre en gourmandise.
Grosses asperges blanches de la ferme de Nogaret, premières morilles, émulsion au maïs, Xérès. Un plat éblouissant, des saveurs marquées mais d’une totale harmonie, cuissons parfaites, et une inspiration sur les alliances comme le maïs avec les asperges, la pointe de Xérès, et une sauce très légèrement parfumée à la réglisse. Une assiette immense !
Grosse sole de ligne de Gilles Jégo rôtie aux tiges d’ail des ours, bourrache, primevères, jeune cèleri fumé, mousseline de pignons de pin, cresson en jus acidulé. Quel poisson ! Quelle cuisson au millimètre ! Quel jus de cresson d’anthologie ! Saveur éclatante, même si la technique, classique chez les grands chefs, de superposer deux filets l’un sur l’autre n’est toujours pas convaincante car elle « casse » la finesse du filet en lui-même, déjà d’une texture assez dense. Surprise du chef : un cèleri entier cuit à la croûte de sel, découpé en salle et servi en quartiers dans l’assiette. Toute la saveur un peu rustique du produit brut … mais un peu envahissant cependant.
Ris de veau fermier rôti, grillotiné aux condiments de citron Meyer, câpres de Pantelleria, brocolettis caramélisés, radicchio acidulé, jus de beurre noisette. Un chef d’œuvre… que dire d’autre sinon de venir le goûter pour le croire. Une belle pièce, saisie et moelleuse, et la bonne idée des notes acidulées du citron et des câpres qui réveille le ris (comme pour la cervelle et la raie dans l’ancien monde). Jus de cuisson de référence d’une onctuosité qui laisse pantois. Un grand plat… à nouveau.
Fameuse, unique, rare, l’Omelette Norvégienne de Philippe Labbé est un monument. Elle est à la fois très proche et très loin de l’original. Très proche par la technique de mettre du froid dans du chaud, très réussie, et très loin par les ingrédients utilisés et la présentation en gâteau rond au lieu du traditionnel rectangulaire.
Elle est garnie de fraises des bois, de mangue parfumée d’orange et de gingembre, fruits de la passion, citron Meyer, floralie de salade acidulée, épicée aux herbes, surmontée d’onctueux blancs d’œuf montée en neige, l’ensemble accompagné d’un cocktail glacé au Campari et fraises des bois. L’arrivée en salle est impressionnante et joyeuse, provoquant des réactions d’enfants gourmands et gâtés, abasourdis d’une telle beauté formelle. Flambage au Cointreau avant découpe et une belle portion dans l’assiette.
Une version très « fruitée », plus riche et complexe que l’original, peut-être un gingembre un poil envahissant, mais quel belle pièce.
Un final digne d’un repas brillant et merveilleux. Profitons de cette beauté et de ce talent d’un chef qui a trouvé l’écrin parfait pour réaliser ce qu’il sait faire de mieux. Une grande cuisine française avec ses touches personnelles et ses petits twists de génie. Mais où sont donc les deux étoiles ?
15, quai de la Tournelle75005 Paris
Tél : 01 43 54 23 31
www.tourdargent.com
Voiturier
M° : Maubert Mutualité
Fermé dimanche & lundi
Réservations : 01 43 54 23 31
www.tourdargent.com
Menu déjeuner : 105 €
Menus 350 € – 360 €
Carte : 250 € environ