Otto, l'homme réécrit de Marc-Antoine Mathieu, la chronique réécrite !

Publié le 15 juin 2018 par 7bd @7BD
Titre: Otto, l'homme réécrit Auteurs : Marc-Antoine Mathieu (scénario et dessin) Editeur : Delcourt collection : Hors Collection Année : 2016 Pages : 72 Résumé : Otto est un artiste contemporain qui réalise des performances autour du double et des jeux de miroir. Il est mondialement reconnu et on se bouscule pour le voir. Mais lors de sa nouvelle mise en scène, Otto est frappé par un vide, un creux que l'on pourrait qualifier de doute existentiel. Se retirant un temps pour réfléchir sur lui, il va au même moment apprendre la mort de ses parents et recevoir un étrange héritage, une malle dans le grenier d'une maison, une malle qui consigne les résultats d'une incroyable expérience dont, à son insu, il a été le sujet ! Mon avis : Otto, l'Homme Réécrit est le nouvel opus de Marc-Antoine Mathieu. Une descente au fond de l'âme, de ce qui nous fait, de ce qui nous rend unique ou pas selon votre vision du monde. Otto va pouvoir réaliser quelque chose que personne n'a pu essayer avant lui, se plonger dans sa propre vie, étape par étape, jour après jour, heure après heure, seconde après seconde. A partir de là, cet artiste qui a perdu ses repères, qui espère (re)trouver un sens, va interpréter son propre passé. Et c'est là où Marc-Antoine Mathieu réalise une belle pirouette. Otto dispose de tous les éléments objectifs de son passé : Enregistrements, photos, journal de bord, tout ce qu'on peut espérer. En décortiquant toutes ces données, il va retrouver les causes de ses obsessions, de ses envies, de ses peurs. Mais n'est-ce pas subjectivement qu'il va analyser tout cela ? N'est-il pas influencé par son propre vécu, par sa propre manière de voir le monde, qui n'a plus rien d'objective ? Au fil de cette œuvre, c'est un fil que Otto déroule et nous le suivons. L'artiste se rapproche de plus en plus de l'origine de sa vie. Mais est-ce qu'un homme à la dérive est en état de comprendre correctement sa propre vie ?
Pourtant, le double fait partie de l'univers d'Otto. Se mettre en scène, se refléter, donner un sens à cette pantomime définit son métier d'artiste. Pour autant, c'est son regard d'artiste, son regard subjectif qui lui permet de réaliser tout cela. Otto peut-il se fier à ses propres jugements, surtout quand ceux-ci doivent concerner sa propre vie ! Marc-Antoine Mathieu nous renvoie à nous-mêmes. Sommes-nous aptes à juger des causes qui ont engendré nos actes ? Sommes-nous aptes à savoir même quelles sont les causes véritables, profondes, de nos actes ? Et les causes de ces causes ? Et les causes des causes de ces causes ? Y a-t-il une cause originelle à tout cela ? Y aurait-il une cause originelle à nos actes, à ce que nous sommes, remontant jusqu'avant notre naissance ? Comment la cerner, la trouver ? Et qui pourrait prétendre le faire ? En creusant un peu plus, on pourrait se demander s'il y a une cause, une raison à la vie, un sens à tout cela ? Est-ce que l'homme est le mieux placé pour trouver une signification à son existence ? Après tout, comme l'ont montré la physique et la biologie, le sujet qu'on observe réagit au fait d'être observé et n'est plus en condition naturelle. Comment alors interpréter ses actes ? Comment connaître ses réactions, puisqu'elles sont biaisées par l'observation ? Otto est face à des archives, il ne peut les biaiser. On peut se dire que le lecteur n'influence pas la feuille de papier qu'il tient ou l'encre qui la recouvre. Et pourtant, le lecteur lit les mots, leur donne un sens, une importance dans la phrase qui ne dépend que de lui, et qui n'est peut-être pas celle de l'auteur. Dans le cas d'archives, où les données s'entassent sans sens aucun, c'est notre regard qui leur donne, qui crée une interprétation, qui relie des éléments en les désignant comme cause ou comme effet. Voilà exactement ce que fait Otto. Pour mettre en avant cette idée, Marc-Antoine Mathieu ne s'égare pas à nous montrer des éléments de la jeunesse d'Otto, au contraire, nous restons avec cet homme et ces interprétations, il découvre d'où vient sa vocation d'artiste, et il se rappelle des souvenirs fugaces. Mais ce dont il se rappelle, est-ce vraiment la sensation qu'il a éprouvée jeune ? N'est-elle pas déformée par la trace laissée dans son inconscient, ou son conscient ?  Pour nous distancier plus d'Otto, la narration est confiée à quelqu'un d'extérieur, dont nous ne saurons jamais l'identité. Porte ouverte, là encore, aux supputations et aux questionnements. Tenez, pour poursuivre la descente – ou l'ascension – vertigineuse de ces réflexions : Ce que je vous dis de cette BD correspond à ce que j'ai ressenti en la lisant. Mais je suis forcément influencé par ce que je suis, au fond, par qui j'étais au moment de la lecture. Et en allant plus loin, au moment où j'écris ces lignes, je suis influencé par mon état d'esprit du moment, par mon humeur, par d'autres éléments de la journée. Me voilà donc au moment où j'écris ce dont je me rappelle, ce que je pense avoir ressenti au moment où j'ai lu cette BD. Et le raisonnement marchera aussi avec vous, lecteurs. Vous serez dans un état d'esprit particulier, au moment où vous lirez ces lignes, où vous lisez ces lignes, qui vous fera percevoir ce que j'ai écrit au moment où je l'ai écrit, tentant moi-même de décrypter ce que je ressentais, au moment où je le ressentais, donc en lisant cette BD, tentant de comprendre ce que Marc-Antoine Mathieu voulait faire passer au moment où il la dessinait, étape différenciée du moment où il l'a conçue ! Vous me suivez toujours ? Si c'est trop effrayant, vous pouvez déjà sauter deux étapes en allant directement lire cette fascinante BD. Vertigineux, non ? Je pourrais m'arrêter là – ou pas - mais ce serait dommage de ne pas évoquer le dessin de Marc-Antoine Mathieu. Du noir et blanc, avec du gris. Un dessin stylisé dans un format à l'italienne ou en paysage si vous préférez. Des cases où le texte figure en-dessous, dans un carton. Une narration qui fait la part belle aux dessins et une mise en scène qui procède par avancée, ou plutôt plongée – autant en terme de cadrage qu'en action de sauter dans le vide – dans l'image et dans l'esprit de Otto. Si bien qu'au bout d'un moment, il devient compliqué de faire la part des choses. Marc-Antoine Mathieu, qui a déjà montré sa maîtrise du travelling sans fin – ou presque – nous montre graphiquement comment l'infiniment petit peut rejoindre l'infiniment grand. C'est avec talent qu'il met en image le vieil adage « Ce qui est en haut est en bas, et ce qui est en bas est en haut ! ». A ne pas interpréter dans le sens basique que si vous regardez le plafond, vous y verrez vos chaussures ! Les cases sont simples en apparence et belles par leur composition où les lignes se renvoient les unes autres autres, où les courbes se reflètent ou se répètent à différentes échelles, où les métaphores passent par le dessin et non plus par les mots. Et où Otto et son reflet sont présents, quelque part dans l'image, se renvoyant éternellement la balle dans ce récit que Marc-Antoine Mathieu offre à notre regard. Et pour ne pas simplifier les choses, voici « Intrusion »un portrait de Marc-Antoine Mathieu :
Les questions soulevées par cette BD se répercutent dans ses cases et rebondissent ainsi jusqu'à nous avec encore plus d'énergie. Y trouverons-nous une réponse ? Marc-Antoine Mathieu ébauche une piste, à chacun de continuer le chemin. Zéda face à Otto...
David
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