Pourtant, le double fait partie de l'univers d'Otto. Se mettre en scène, se refléter, donner un sens à cette pantomime définit son métier d'artiste. Pour autant, c'est son regard d'artiste, son regard subjectif qui lui permet de réaliser tout cela. Otto peut-il se fier à ses propres jugements, surtout quand ceux-ci doivent concerner sa propre vie ! Marc-Antoine Mathieu nous renvoie à nous-mêmes. Sommes-nous aptes à juger des causes qui ont engendré nos actes ? Sommes-nous aptes à savoir même quelles sont les causes véritables, profondes, de nos actes ? Et les causes de ces causes ? Et les causes des causes de ces causes ? Y a-t-il une cause originelle à tout cela ? Y aurait-il une cause originelle à nos actes, à ce que nous sommes, remontant jusqu'avant notre naissance ? Comment la cerner, la trouver ? Et qui pourrait prétendre le faire ? En creusant un peu plus, on pourrait se demander s'il y a une cause, une raison à la vie, un sens à tout cela ? Est-ce que l'homme est le mieux placé pour trouver une signification à son existence ? Après tout, comme l'ont montré la physique et la biologie, le sujet qu'on observe réagit au fait d'être observé et n'est plus en condition naturelle. Comment alors interpréter ses actes ? Comment connaître ses réactions, puisqu'elles sont biaisées par l'observation ? Otto est face à des archives, il ne peut les biaiser. On peut se dire que le lecteur n'influence pas la feuille de papier qu'il tient ou l'encre qui la recouvre. Et pourtant, le lecteur lit les mots, leur donne un sens, une importance dans la phrase qui ne dépend que de lui, et qui n'est peut-être pas celle de l'auteur. Dans le cas d'archives, où les données s'entassent sans sens aucun, c'est notre regard qui leur donne, qui crée une interprétation, qui relie des éléments en les désignant comme cause ou comme effet. Voilà exactement ce que fait Otto. Pour mettre en avant cette idée, Marc-Antoine Mathieu ne s'égare pas à nous montrer des éléments de la jeunesse d'Otto, au contraire, nous restons avec cet homme et ces interprétations, il découvre d'où vient sa vocation d'artiste, et il se rappelle des souvenirs fugaces. Mais ce dont il se rappelle, est-ce vraiment la sensation qu'il a éprouvée jeune ? N'est-elle pas déformée par la trace laissée dans son inconscient, ou son conscient ? Pour nous distancier plus d'Otto, la narration est confiée à quelqu'un d'extérieur, dont nous ne saurons jamais l'identité. Porte ouverte, là encore, aux supputations et aux questionnements. Tenez, pour poursuivre la descente – ou l'ascension – vertigineuse de ces réflexions : Ce que je vous dis de cette BD correspond à ce que j'ai ressenti en la lisant. Mais je suis forcément influencé par ce que je suis, au fond, par qui j'étais au moment de la lecture. Et en allant plus loin, au moment où j'écris ces lignes, je suis influencé par mon état d'esprit du moment, par mon humeur, par d'autres éléments de la journée. Me voilà donc au moment où j'écris ce dont je me rappelle, ce que je pense avoir ressenti au moment où j'ai lu cette BD. Et le raisonnement marchera aussi avec vous, lecteurs. Vous serez dans un état d'esprit particulier, au moment où vous lirez ces lignes, où vous lisez ces lignes, qui vous fera percevoir ce que j'ai écrit au moment où je l'ai écrit, tentant moi-même de décrypter ce que je ressentais, au moment où je le ressentais, donc en lisant cette BD, tentant de comprendre ce que Marc-Antoine Mathieu voulait faire passer au moment où il la dessinait, étape différenciée du moment où il l'a conçue ! Vous me suivez toujours ? Si c'est trop effrayant, vous pouvez déjà sauter deux étapes en allant directement lire cette fascinante BD.
Les questions soulevées par cette BD se répercutent dans ses cases et rebondissent ainsi jusqu'à nous avec encore plus d'énergie. Y trouverons-nous une réponse ? Marc-Antoine Mathieu ébauche une piste, à chacun de continuer le chemin. Zéda face à Otto...
David
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