Les jours se suivent et se ressemblent parfois au point que j’en sois à me demander si je ne devrais pas proposer une rubrique spécifique, « l’Etat français et son informatique amusante » tant les interventions du premier dans ce domaine sont très régulièrement l’objet d’une belle tranche de rigolade à nos frais.
En effet, j’ai de nombreuses fois évoqué le sujet, ô combien délicat, de la capacité de l’État, ses politiciens et ses administrations, à consciencieusement saboter de grands projets informatiques et à exécuter de travers ce qui relevait d’une mission au départ pas vraiment impossible.
Entre les interventions du législateur (dans les jeux vidéos, les moteurs de recherche en passant par HADOPI ou tant d’autres exemples flagrants), les décisions unilatérales consternantes des administrations en matière de numérique ou d’informatisation, les projets pharaoniques lancés à budgets illimités pour réformer au bulldozer l’un ou l’autre département, l’une ou l’autre application informatique cruciale, tout, dans les résultats obtenus, montre que, décidément, l’État français n’est vraiment pas doué avec le monde des intertubes, des ordinateurs ou des programmes bien troussés.
Chaque mois nous donne l’occasion de découvrir un nouveau dérapage, une nouvelle gabegie, un nouveau projet informatique foiré dans les grandes largeurs. En attendant le mois de juillet où nous pourrons faire le bilan, certainement croustillant, de Parcoursup (autre belle réalisation informatique de l’État), ce mois-ci nous offre l’opportunité de regarder ce qui s’est passé sur les cartes grises.
Depuis le mois de novembre dernier, les préfectures ont en effet supprimé leurs services « cartes grises » chargés d’assister professionnels et particuliers dans l’obtention de leurs titres d’immatriculation de véhicules, pour les renvoyer vers le site de l’ANTS (l’Agence nationale des titres sécurisés). Las, par un surprenant concours de circonstances (seuls concours que semblent gagner régulièrement les administrations publiques), l’Agence n’a pas été capable de fournir un logiciel fiable et un site en bonne et due forme. C’est la cata : entre 450.000 et 600.000 dossiers ont été bloqués.
Ce dernier chiffre n’est d’ailleurs pas connu avec précision puisqu’il semble que 200.000 dossiers (seulement ! – une paille) soient encore en souffrance actuellement. Mais indépendamment de cette bataille de (gros) chiffres, il n’en reste pas moins que le site de l’ANTS souffre de nombreux problèmes : lenteurs rédhibitoires, plantages intempestifs, dossiers perdus, les particuliers confrontés à la bestiole informatique de l’administration françaises n’en peuvent plus.
Bien évidemment, le tableau ne serait pas tout à fait complet si, à cette déroute informatique somme toute parfaitement prévisible et habituelle de l’État lorsqu’il s’agit de fournir un service public, on n’ajoutait pas une bonne louche de conséquences imprévues qui auront des impacts économiques négatifs. Eh oui, c’est aussi ça, la magie de l’État, celle qui consiste à transformer un problème technique en crise aiguë avec retombées économiques négatives : le contribuable, qui a payé le premier fiasco de la production logicielle, ne s’en sortira pas à bon compte si on ne lui ajoute pas aussi une petite dose de surcharges diverses pour réparer la foire provoquée…
C’est ainsi que se dessinent déjà des conséquences juridiques palpables, puisqu’un nombre croissant d’usagers, n’obtenant pas leur précieuse carte grise auprès des administrations dûment accrédités pour la fournir, ont décidé d’attaquer l’État pour défaut de fourniture. Et ont gagné, ce qui entraînera des dommages et intérêts qui seront donc payés… par l’État (i.e. le contribuable).
Au-delà de cet aspect juridique et de l’encombrement des tribunaux provoqué par un nouvel exemple de mauvaise gestion étatique, on peut ajouter que ces difficultés croissantes pour obtenir des papiers en règle poussent certains particuliers et professionnels à remettre leurs achats de véhicules. Dans l’occasion notamment, même si le tabassage maintenant officiel de l’État sur le diesel explique assez bien la diminution des ventes de véhicules équipés de cette motorisation, une part non négligeable de la baisse des ventes observée ces derniers mois semble aussi imputable à ces péripéties administratives.
L’économie française, aiguillonnée par les fines décisions du président Macron, n’avait probablement pas besoin de cette volée de bisous bureaucratiques supplémentaires. Elle fera pourtant avec, alors que la morosité reprend ses quartiers français.
Devant ce désastre qui dure tout de même depuis le mois de Novembre dernier, on pourrait croire que le politique ne fait rien. Eh bien c’est globalement exact puisqu’il a fallu attendre ce mois-ci pour que papy Collomb, probablement au détour d’une sieste, sorte de sa léthargie et s’empare du problème à bras-le-corps, avec cette détermination, cette puissance intellectuelle et musculaire qui ont fait sa marque de fabrique depuis son arrivée au pouvoir.
En substance, pressé par la commission d’Évaluation des politiques publiques de l’Assemblée nationale de s’expliquer de ce magnifique merdoiement, celui qui occupe quelque peu le poste de ministre de l’Intérieur actuellement a fini par déclarer :
« Nous allons travailler, sur les cartes grises, à une simplification de ce qui est demandé à l’usager […], de manière à rendre plus lisible, plus efficace, plus simple l’ensemble de ce qui est demandé »
Oui, vous avez bien lu : une démarche de simplification administrative va donc être lancée. Gardez votre calme, ce n’est pas un exercice mais tout se passera bien, soyez-en sûr.
Et puis, ne perdons pas de vue que ces cartes grises représentent malgré tout un projet relativement simple à gérer : le précieux papelard administratif ne dépend finalement que d’un nombre relativement restreint de paramètres, et les pièces administratives nécessaires à l’obtention du sésame routier sont relativement aisées à obtenir. En outre, le passage par l’actuel site ne représente pas un changement fondamental dans les caractéristiques et l’usage de cette carte grise.
Il semble dès lors raisonnable d’imaginer que, dans les prochains mois, le problème va se résorber avec ou sans « l’aide » active du ministre Collomb.
En revanche, tout ceci laisse quelque peu dubitatif sur la capacité du même État, des mêmes politiciens et des mêmes administrations à fournir un service fiable pour l’introduction du calcul de l’impôt à la source dans les prochains mois. La complexité semble quelque peu supérieure, ce prélèvement à la source étant fondamentalement différent de la méthode employée jusque là, depuis le nombre de paramètres pilotant le résultat final jusqu’à l’introduction d’un impôt individuel dans un pays où, jusqu’à présent, il régnait par foyer…
Devant la réussite phénoménale de cette simplification administrative pour obtenir une carte grise, le prochain projet informatique piloté par l’État, celui du prélèvement à la source, semble donc placé sous les meilleurs auspices.
Forcément, ça va bien se passer.
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