Longtemps, j'ai défendu l'artiste de l'humain.
Je pardonne Woody Allen de fréquenter la fille adoptive de son ancienne partenaire de vie. C'est une hygiène extrêmement inconfortable que je ne supporterais probablement pas dans mon entourage, et je suis un grand apôtre du "non-non" dans les écarts d'âge démesurés entre partenaires de vie.
Woody ne serait pas mon ami au civil, disons.
Mais j'aime l'oeuvre. À l'écrit comme sur scène, comme à l'écran. Je lui pardonne même ses films ratés. Je les trouve toujours mieux qu'une tonne d'autres.
Je n'ai jamais lu Louis-Ferdinand Céline. Car l'homme, à la ville était vil. Mais je reconnais la valeur artistique et historique de Céline. La littérature moderne lui doit beaucoup. Et le lirai un jour.
Je respecte assez peu le rap pour ses valeurs misogynes. mercantiles et risibles. Mais j'en accepte quelques incursions ici et là.
J'ai toujours séparé l'intime de l'oeuvre publique.
Mais ça ne fonctionne pas partout.
Je n'écouterais pas en entier un spectacle de Dieudonné par exemple.
Je n'écouterais jamais plus la voix du trop bien nommé ancien groupe Noir Désir, non plus.
Bertrand Cantat a mis fin prématurément à sa tournée de spectacles, dimanche dernier, à Bruxelles. Il a annulé les deux concerts prévus à l'Olympia car il considérait qu'il risquait de troubler l'ordre public. Des Festivals l'avaient poliment rejeté de leur programmation cet été, même si plusieurs fans veulent le voir sur scène. La discussion est revenue dans l'espace public, tout comme Cantat est revenu dans l'espace public, "a-t-il encore le droit de chanter?". Il a purgé une négligeable peine de prison pour la mort de Marie Trintignant, vit avec ce poids moral en tout temps, mais vit aussi avec la mort de son ex partenaire de vie sur la conscience, Christina Rady, qui, après avoir confessé toutes les violences qu'elle a subies de sa main à lui, s'est enlevé la vie en 2010, à l'âge de 41 ans.
Le tempérament violent de Cantat n'a plus besoin de preuves, il est toxique. Nocif. Fatal. Cantat, en privé, est ignoble. Inhumain.
La violence faite aux femmes de l'ancien chanteur de Noir Désir est indéniable, mais des gens veulent encore le voir et l'entendre sur scène. Ce qui est leur droit. On a pas à vivre dans le corset moral dont parlait Flaubert.
Le 7 juin dernier, Cantat en a rajouté sur scène. Au Zénith. Il a pris le micro et a craché sur les journalistes et le traitement qu'ils lui faisaient vivre. Il était la victime.
Certains croient au droit à la réhabilitation. Ce qui reste quelque chose de possible. Et d'honorable lorsque réussi.
Mais la scène et sa musique nourrit son caractère agressif. Je crois personnellement qu'il a le devoir moral à la discrétion à vie. À une mort publique. Au silence et à l'effacement.
On devrait réentendre parler de Guy Cloutier à sa mort, pas avant.
Eric Salvail réapparaîtra dans plusieurs années. Si il réapparait. Il a de l'expérience de producteur en banque, il pourrait rester derrière les caméras pour le reste de sa vie.
La prod pour Cantat serait un bon refuge.
Un refuge.
Ce que Marie et Christina n'ont jamais trouvé.
Cantat est la source de fins prématurées.
Salement malsaines.
C'est un cas de l'homme avec un petit "h" faisant de l'ombre, à jamais, à l'artiste.
Il ne faudrait pas banaliser le violence qui se dégage de Cantat. C'est une bonne nouvelle qu'il descende de la scène. Qu'il soit en coït interrompu avec l'osmose narcissique qu'il allait boire, soir après soir, au micro.
Les violences conjugales ont déjà été de l'ordre de l'intime et du privé et il n'était du devoir de personne de s'en mêler.
Ce temps est aussi révolu que l'époque où on pouvait dire à une femme au foyer:
"Ah! donc vous ne faites rien de vos journées!"
La victime ne sera jamais Bertrand Cantat.
Même si il travaille fort à le présenter comme ça.