Le complexe d’Eden Bellwether, de Benjamin Wood

Par Ellettres @Ellettres

Je crois que je ne pouvais tomber mieux en termes de « roman oxbridgien ». Le complexe d’Eden Bellwether est une ode au Cambridge universitaire : ses vieux colleges à l’architecture néogothique, ses barques glissant paresseusement sur la Cam, ses pelouses bien taillées, ses étudiants à  vélo. Et pourtant, son personnage principal n’est pas étudiant : Oscar Lowe, 19 ans, vient d’une famille modeste et travaille comme aide-soignant à la maison de retraite de Cedarbrook. Son chemin n’était pas destiné à croiser celui d’Iris et Eden Bellwether. Ces derniers font partie du gratin de la société des étudiants et planent à une hauteur stratosphérique par rapport au commun des mortels. Mais cela, c’était sans compter le pouvoir de la musique, placée au coeur de ce roman. Un soir après une dure journée de travail, Oscar est malgré lui attiré par les sons de l’orgue qui s’échappent de la Chapelle de King’s College. C’est ainsi qu’il fait connaissance d’Eden, le génial organiste, et de sa soeur Iris.

Après une première expérience dérangeante au domicile des Bellwether, la personnalité d’Eden prend vite une tournure sombre aux yeux d’Oscar. Extrêmement intelligent et talentueux, Eden parvient à utiliser la musique à des fins hypnotiques. Parallèlement, Oscar tombe amoureux d’Iris et celle-ci lui confie ses inquiétudes au sujet de son frère. Mais le propre des personnalités narcissiques, n’est-ce pas de dissimuler leurs failles aux yeux de tous, à commencer par eux-mêmes ? Iris embarque donc Oscar dans un coup monté pour soigner Eden. C’est là qu’interviennent un vieux patient caractériel d’Oscar et son amour de jeunesse atteint du cancer…

Ce roman se déroule en 2003, c’est-à-dire un temps que les moins de 15 ans ne peuvent pas connaître. Les jeunes gens offrent encore des compils sous forme de cassettes audio à leurs petites amies. L’atmosphère de Cambridge renforce le côté hors du temps de ce drame (car drame il y aura, nous en sommes avertis dès la première page). Ce léger décalage temporel permet de laisser de côté le réalisme stricto sensu pour  mettre en valeur « l’inquiétante étrangeté » d’Eden, sorte de double diabolique de la belle et lumineuse Iris. Narcissisme ? Mégalomanie ? Schizophrénie ? Génie ? Bien que l’auteur nous pourvoit amplement en explications psychologiques, « le complexe d’Eden Bellwether » échappe à la raison. Et ce n’est pas le seul phénomène à l’être, puisque  à la toute-puissance d’Eden répond le désir de « guérison magique » dont peuvent être affectés certains personnages.

Dans cette toile tissée autour d’un drame annoncé, nous sommes donc irrémédiablement pris. Des tas de questions sont en suspens. Et on ne sait qui, in fine, en sera la victime, ce qui donne un petit côté thriller fort plaisant à l’ensemble. Beaucoup d’éléments positifs à mettre dans la balance, donc. Mais de l’autre côté, un goût de « peut mieux faire » me reste en bouche. Si Eden est bien campé, avec les exagérations propres au personnage faustien qu’il incarne, si Oscar et Iris sont plutôt attachants, j’ai trouvé les autres personnages singulièrement fades et peu travaillés. La critique sociale qui est esquissée (grosso modo : les prolétaires qui bossent vs. les seigneurs nés avec une petite cuiller en argent dans la bouche) n’emporte pas la conviction et n’offre pas un contre-chant puissant à la thématique générale. Les nombreuses références intellectuelles présentes dans le roman tiennent plus du saupoudrage de parmesan que de la réflexion profonde. Globalement, l’écriture lisse de Benjamin Wood peine à transmettre la moindre émotion, sauf peut-être lors d’une scène fatale. Ainsi, si le thème de ce roman est intéressant par son sujet et sa mise en scène, les moyens narratifs employés manquent de caractère. On sent le jeune auteur prometteur qui n’a pas encore trouvé la forme qui siérait vraiment à son propos. On lui souhaite de la peaufiner dans les années qui viennent.

Allez lire le billet de ma copinaute Lili qui m’a offert ce livre en swap et a décidé de le lire en LC avec moi.

Ce billet est (finally!) ma première participation au mois anglais, pour le thème « campus novel ».

« Le complexe d’Eden Bellwether » de Benjamin Wood, Le Livre de Poche, 2016, 576 p.

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