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Aden (suite) : une mixture de l’orient et de l’empire britannique

Publié le 07 juillet 2008 par Frontere

Aden (suite) : une mixture de l’orient et de l’empire britanniqueAden, vu d’Europe c’est le lointain, mais à quoi peut ressembler ce lointain en 1927?

Imaginez un oppidum, traduisez : un lieu fortifié établi sur une hauteur, une ville indigène qui co-existe avec une ville britannique, des chemins de ronde fortifiés qui permettent le passage entre les deux villes, des forts turcs en ruine, des mosquées, un grand port, des chemins pierreux, des chameaux, des casernes, des peuples mélangés : soldats anglais et hindous, Somalis, Arabes, Noirs, un bazar, des échoppes, des odeurs de pétrole, de café, de cuirs qui sèchent au soleil, la statue de la reine Victoria (soixante ans de règne, 1837-1901, excusez-du peu!), bref un inventaire qui déjà annonce Prévert! mais Georges Duhamel l’avait prévenu : « Il paraît que les voyages sont un inventaire » ; enfin de la poussière surtout, et partout :

« ville de poussière avec des maisons de poussière, des palmiers de poussière, des hommes de poussière », p. 118

Jean Cocteau en 1936 en aura une vision desséchée :

« Aden, vestibule des Indes, lieu maigre, scorpion, cactus, creuset des races énigmatiques, n’offre aucune ressource de mollesse ni de grâce » (1)

Nizan arrive à Aden qui est alors sous Protectorat britannique ; situation juridique où un État fort assure sa protection à un État faible par convention. Mais il voit surtout en Aden “un comprimé d’Europe”, nous dirions peut-être aujourd’hui “un condensé”.

Paul Nizan dresse le portrait d’un directeur de firme, Mr C …, homme avide d’argent :

« Le passé dont il tirait une excessive fierté se réduisait au nombre de lakhs de roupies dont pouvait le créditer la National Bank of India », p. 103

Car les impératifs économiques priment même si loin de l’Europe, la loi du profit n’a pas de frontières, et l’exotisme attendu se corrompt au contact de la recherche de l’exploitation maximale des matières premières :

« Il ne fallait pas beaucoup de mois pour épuiser le pittoresque de cet Orient et saisir les forces qui tiraient les ficelles et serraient fort ce nœud », p. 109

Cet univers d’affaires est un univers abstrait où des capitaux étrangers gouvernent le destin des indigènes, le cours des actions dans les bourses anglo-saxonnes ou de l’Europe continentale est le baromètre qui indique aux maîtres de firmes comment orienter leurs activités. Accueilli au sein des milieux scolaires et universitaires ce qui prolonge d’une certaine manière l’époque de sa thurne (2), Nizan ne peut qu’éprouver un sentiment d’extranéité par rapport à ce monde colonial. L’exotisme qu’il rencontre est de contrefaçon, c’est un exotisme frelaté.

Jean-Paul Sartre saura s’en souvenir, je cite :

« les voyages de nos aînés, leurs dépaysements somptueux et tout le cérémonial du grand tourisme, il fallut bientôt reconnaître que c’était un trompe-l’œil : ils emportaient partout la France avec eux, ils voyageaient parce que la France avait gagné la guerre et que le change restait favorable, ils suivaient le franc … »

(Jean-Paul Sartre, Qu’est-ce que la littérature? 1948)

Comme s’il cherchait à nuancer sa description des milieux d’expatriés, il évoque la figure singulière d’un ancien sergent de l’armée britannique, pour l’heure reconverti en gardien de musée et, à l’occasion, en écrivain public pour les Arabes. Mais ce ressortissant britannique, à Aden depuis quarante ans, n’est plus qu’“un débris d’Empire” aurait dit Balzac. Il est devenu un ivrogne invétéré. Les autorités, que l’on pourrait qualifier pour le coup de portuaires, lui ont interdit de participer à une mini-guerre anglo-turque ; l’ancien sergent de l’Empire de sa majesté en est réduit au statut de demi-solde.

Le lecteur peut en tirer la conclusion que dans l’économie du monde colonial l’homme occidental ne peut être au choix qu’un serviteur fidèle de la colonisation ou un déclassé. Quant à Paul Nizan il n’a plus qu’à s’interroger avec amertume :

« Avais-je besoin d’aller déterrer des vérités si ordinaires dans les déserts tropicaux et chercher à Aden les secrets de Paris », p. 133

s’interroger, dis-je, et rentrer au “chenil quotidien”, p. 75, combattre, qui sait, Les Chiens de garde (de la bourgeoisie), mais risquer surtout d’être assigné à résidence.

A suivre

Notes

(1) Jean Cocteau, Mon premier voyage, récit

(2) chambres d’internat que partagent les élèves (les co-thurnes), à l’École normale supérieure dans le cas de Paul Nizan


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