Désormais la Fondation Clément propose pour chacune de ses expositions une séance de cinéma sous les étoiles. Le film est choisi par l’artiste exposé et devrait tisser quelques liens avec sa propre démarche. Raymond Médélice a sélectionné La Passion Van Gogh. Raymond est un passionné de cinéma et a lui-même créé plusieurs petits films d’animation même si en ce moment il se consacre surtout à la peinture. Son choix s’est porté sur un film récent qui expérimente pour la première fois une technique d’animation très novatrice. De plus, le suspens est au rendez- vous puisque c’est la mort mystérieuse de Van Gogh que les protagonistes du film tentent d’élucider.
Vincent Van Gogh
Portrait du docteur Gachet
Le docteur Gachet dans le film
La mort mystérieuse de Vincent Van Gogh est elle un suicide ? un meurtre ? un accident ? Si c’est un suicide, quels en sont les motifs ? La source de son mal-être est – elle liée à son enfance et à la souffrance de sa mère qui lui a donné le même prénom qu’un premier fils mort né qu’il s’est senti incapable de remplacer ? Ses échecs professionnels répétés et la déception causée à son père en sont – ils plutôt la cause ? A t – il été désespéré par son idylle contrariée avec Mademoiselle Gachet ? Adeline Ravoux était – elle jalouse de son intérêt pour la fille du médecin ? Quel est le motif de sa dernière dispute violente avec le Docteur Gachet ? Etait – il déçu que son frère Théo ne lui envoie pas le matériel de peinture attendu ? S’est – il supprimé pour ne plus être un fardeau financier pour Théo ?
A-t – il délibérément mis fin à ses jours alors qu’il se sentait calme et apaisé, guéri selon ses dernières lettres et qu’il avait commandé toiles, couleurs et pinceaux pour peindre ? S’il s’est suicidé, pourquoi s’est – il tiré une balle dans l’estomac plutôt qu’à la tempe ? Pourquoi ne s’est – il pas achevé sur place, dans le champ, plutôt que de se traîner ensuite jusqu’à sa chambre ? Mais peut – on attendre un comportement cohérent d’un homme excentrique, cyclothymique, dépressif, qui à la suite d’une dispute avec Gauguin, se coupe l’oreille et l’offre à une prostituée ? Comment un homme mortellement blessé a – t il pu marcher aussi longtemps ? Pourquoi n’a t – on pas retrouvé son matériel de peinture ? Pourquoi le Docteur Gachet, médecin militaire appelé à son chevet n’a pas tenté d’extraire la balle et de le soigner ?
D’où vient le pistolet ? Est – ce lui du Docteur Gachet ? Ou celui de l’aubergiste Ravoux ? Le voyou René Secretan qui le persécutait sans cesse et avait acheté le pistolet de l’aubergiste lui a t – il tiré dessus ? Accidentellement ou volontairement ? La trajectoire de la balle correspond – elle vraiment à un coup de feu tiré à bout portant ou ne suggère- t – elle pas plutôt une certaine distance entre le tireur et la victime comme le croit le Docteur Mazery ?
Sous le prétexte de remettre la dernière lettre de Vincent à son frère Théo, décédé peu de temps après son frère, le fils du facteur Roulin part en quête d’un destinataire de substitution et finit par se livrer à une véritable enquête policière. Le suspens est soigneusement entretenu et révèle progressivement le sentiment de culpabilité de chacun : l’indifférence affichée par Marguerite Gachet sous l’influence familiale en dépit de son attirance pour Vincent ; la violence du Docteur Gachet accusant Vincent, sous le coup d’une jalouse d’artiste médiocre, de ruiner Théo et de le détruire à petit feu ; les gamins du village qui le martyrisaient sans répit.
Deux Américains, Steven Naifeh et Gregory White Smith, récompensés du prix Pulitzer pour leur biographie sur Jackson Pollock et auteurs d’une nouvelle biographie de Van Gogh, affirment après dix ans de recherches qui leur ont donné accès à la totalité des archives du Musée Van Gogh d’Amsterdam, que ce dernier a été tué par deux adolescents, René Secrétan et son frère. Ils ont consulté quelque vingt-huit- mille notes, dont des lettres jusque-là inconnues de Vincent à son frère Théo et ses proches et ont travaillé avec une petite armée de documentalistes et traducteurs. Voilà qui bouleverse l’histoire de l’un des peintres les plus célébrés au monde aujourd’hui.
On suit donc pas à pas la passion de Van Gogh, son supplice, ses épreuves, son désespoir et sa solitude que le titre assimile au martyr du Christ, collant au plus près à l’étymologie grecque et latine du mot passion. En dix ans de carrière, de 1880 à 1890 – Van Gogh commence à peindre tardivement à l’âge de vingt-sept ans – ce génie incompris dont les toiles atteignent aux enchères des sommes colossales aujourd’hui, a réalisé huit- cent- quarante tableaux et plus de mille dessins sans réussir à les vendre. Une toile unique, la vigne rouge a été acquise de son vivant.
Vincent Van Gogh La vigne Rouge
Mais l’intérêt essentiel de ce film atypique ne se situe pas là. Le film est lui-même une œuvre artistique. Par la magie du cinéma, les toiles de Van Gogh prennent vie. Ce film d’animation transforme l’image filmée en image peinte à la manière de Van Gogh. Après un tournage classique avec des acteurs sur fonds verts, des tableaux de Van Gogh ou « à la manière de Van Gogh » ont ensuite été incrustés par compositing, puis animés en infographie. Chacun des cent – neuf plans du film a nécessité la composition de quelques soixante mille tableaux peints à la main par une équipe d’une centaine d’artistes. Et chaque personnage du film a été peint par Van Gogh. C’est comme si le Docteur Gachet, sa fille, René Secretan, Adeline Ravoux, le facteur Roulin et son fils abandonnaient leurs cadres pour vivre sous vos yeux. On retrouve ainsi dans le film quatre- vingt – quatorze toiles du maître presque à l’identique et trente et une autres reproduites en grande partie ou partiellement. Comme un refrain d’angoisse digne d’Hitchcock, le vol lourd et funeste des corbeaux de la toile Champ de blé avec corbeaux ponctue le film. Les barques au bord de l’Oise oscillent doucement , le semeur lance ses graines à la volée.
Vincent_van_Gogh Champ de Blé aux corbeaux (1890)