Critique de L’Idiot, de Fiodor Dostoïevski, vu le 30 mai 2018 au Théâtre 14
Avec Arnaud Denis, Thomas Le Douarec / Gilles Nicoleau, Bruno Paviot, Daniel-Jean Colloredo, Fabrice Scott, Marie Lenoir, Marie Oppert, Solenn Mariani, et Caroline Devismes, dans une mise en scène de Thomas Le Douarec
Je crois que c’est parce que j’ai vu l’annonce de L’Idiot monté au 14 avec Arnaud Denis que je me suis emparée du roman de Dostoïevski l’année dernière, pendant mon stage scientifique. J’avais alors beaucoup de temps libre et je me suis dit que c’était sans doute le meilleur moment pour attaquer ce pavé… qui ne m’a plus quittée. J’étais intriguée par l’adaptation que pourrait en faire Thomas le Douarec, comme par l’incarnation que proposerait Arnaud Denis, qui est un acteur que je suis depuis plus de 10 ans maintenant. Le bilan est finalement mitigé.
L’idiot désigne le Prince Mychkine, jeune homme considéré comme tel en raison de sa maladie – il est épileptique. Au début du roman, il rentre en Russie après un long séjour dans un sanatorium de Suisse ; il est alors presque tout à fait guéri. S’il reste d’une naïveté à toute épreuve, le Prince est aussi un personnage attachant, profondément gentil, qui sait trouver le bien chez chacune de ses fréquentations. Dès son arrivée en Russie, il rencontrera Nastassia Filippovna dont il tombera amoureux – mais il n’est pas le seul. L’idiot suit Le Prince dans son entrée progressive dans la société russe, ses analyses psychologiques pertinentes de ceux qui l’entourent, ses amitiés naissantes et ses fréquents pardons.
C’est toujours étrange – et risqué – lorsqu’un personnage né dans notre imaginaire prend forme humaine sur scène. Mais on peut faire confiance à Arnaud Denis pour s’effacer derrière son personnage et, véritable caméléon, se rapprocher au plus près des traits dessinés par l’auteur et, fatalement, tracés dans notre esprit. Dès que j’ai découvert l’affiche, la transformation de son regard m’a frappée : il n’était plus le comédien assuré qu’on connaissait mais déjà ce Prince Mychkine au regard à la fois doux et inquiétant, ce personnage mystérieux en décalage avec la société russe qu’il se prendra de plein fouet. Sur scène, la promesse est tenue : le personnage est incarné avec puissance et intériorisation. Et oui, chez Arnaud Denis, les deux ne sont pas incompatibles.
© Laurencine Lot
Cependant, Arnaud Denis aurait pu briller encore davantage s’il n’avait été brimé par ses partenaires de jeu. Du côté des hommes, le travail est très correct. Mais c’est du côté des femmes que cela pêche, ce qui est bien dommage puisque les deux intrigues amoureuses que mène Le Prince sont intrigantes et passionnantes. On imputera sa jeunesse à Marie Oppert pour expliquer son Aglaé particulièrement agaçante par des cris répétés – malheureusement cela n’a jamais été synonyme d’intensité au théâtre. C’est plus difficile d’excuser Caroline Devismes, déjà rencontrée dans les créations de Thomas Le Douarec, et qui campe une Nastassia démesurément vide, se contentant de réciter platement le texte de cette femme qui devrait soulever les foules. C’est un comble d’incarner un personnage si clivant avec pareille apathie. Quelle déception !
Et ma contrariété ne s’arrête pas là. J’ai eu du mal avec l’adaptation proposée par Thomas Le Douarec. Il faut dire qu’adapter Dostoïevski en 2h20 a quelque chose d’impossible. Si le livre I a été à peu près respecté, le second livre subit ellipse sur ellipse tant et si bien qu’on sent dans la deuxième partie du spectacle le rythme s’accélérer, jusqu’à passer parfois à côté de l’histoire : pourquoi ce revirement soudain de Mychkine vers Aglaé ? Le Prince est-il sincère, ou cette déclaration d’amour n’est-elle qu’une déclaration d’amitié maladroite ? Difficile à dire. Et enfin que dire de cette fin ? Étrange, maladroite, incompréhensible, et surtout bien loin de la fin dramatique du roman, voilà une fin qui conclut le spectacle d’une bien mauvaise manière. Osera-t-on ? Une fin idiote.
Pas franchement convaincue par cet Idiot. Mais comme Dostoïevski semble avoir la cote en ce moment, je tenterai à nouveau ma chance pour Les Démons à l’Odéon la saison prochaine, ainsi que Le Double, qui sera présenté au Théâtre 14.
© Laurencine Lot