la vie c'est toute une obligationyou've gotta fuckin' live up to it
c'est avec peu d'effroi que j'ai appris vendredi
le suicide d'anthony bourdain
bien sûr j'étais et suis encore profondément attristée
que parte si tôt un être humain exceptionnel
autant bad boy que sensei
qui malgré sa renommée
demeurait ouvert modeste et humble
et était surtout pour nous montréalais
un allié ayant contribué à l'essor fulgurant
de notre scène culinaire
mais j'étais calme aussi
face au fait qu'il ait choisi lui-même
de terminer ses jours
et je recule ici
pendant que vous montez aux barricades
en criant
ce n'est pas un choix
ma réaction a été plate et identique
à toutes les fois où j'entends parler de suicide
pourtant
il ne semblait manquer de rien
c'est ben pour dire
évidemment ceux qui s'enlèvent la vie
car il manquent de tout et souffrent de façon flagrante
on n'en entend pas parler
donc je n'y pense jamais
des fois
mon mari et moi
on en parle
quel gène manque-t-il à ces gens
riches et célèbres
éduqués même peut-être
de quel droit peuvent-ils prétendre
qu'ils n'apprécient pas la vie
alors qu'ils semblent au faîte
de la réalisation humaine moderne
alors que tant de gens sont dans la misère
vivent l'enfer sur terre
il n'y a rien à comprendre
quand je parle ou j'écris sur le suicide
j'ai toujours un peu honte
je me sens comme une imposteuse
car je n'ai jamais perdu de proche
qui se soit infligé la mort
ne suis ni psychologue ni psychanalyste
mais j'ai toujours trouvé
que le sentiment de perte des survivants
était bien égoïste
un deuil qu'il faut vivre évidemment
mais comme le disait nelly arcan
ne pas vouloir faire souffrir son entourage
n'est pas une raison suffisante pour vivre
j'ai donc lu récemment pour la première fois
sur les causes du suicide
et j'ai appris que les hommes y parvenaient
bien mieux que les femmes
mais de façon autrement plus violente
c'est ça qui m'effraie dans le suicide
pas la fin de la vie
parce que la mort
avouons-le
on n'en sait vachement rien
mais la souffrance
la peur
c'est d'avoir mal qui me turn off
chaque fois que j'ai envie d'en finir
une balle dans la gorge
une lame sur une veine
du sang partout
un corps dans la rame de métro
arkeu
c'est vraiment trop affreux et dramatique
ça doit être traumatisant pour ceux qui en témoignent
moi si je devais partir
je disparaîtrais avant
comme claire halde
évaporée
les statistiques disent aussi
qu'au canada le plus grand taux de suicides
se situe chez les gens dans la force de l'âge
entre quarante et cinquante-neuf ans
et là
pouf
je me reconnais
dans mon esprit mal renseigné
il y a trois types de suicidaires
ceux qui souffrent affreusement
de conditions physiques intolérables
et j'inclus là-dedans ceux qui ont moins que rien
et les malades mentaux et les dépendants
ceux qui succombent à un acte de folie
dans une phase maniaque ou pire dans le creux de leur bipolarité
et ceux qui ne voient que le vide de la vie
qui n'ont ni envie d'être heureux
ni d'être tristes
ceux qui ne ressentent plus rien
je suis un peu de cette dernière catégorie
je n'ai pas le mal de vivre non
vous seriez outrés si j'affirmais cela
je ne suis pas malheureuse
je ne manque de rien
je ne suis ni en crise ni en souffrance
mais ça ne m'exalte plus de vivre
je trouve cela absurde
j'ai fait le tour de la question
je me fatigue de consommer sans cesse de ressources
pour nourrir mes jours prolongés
par les progrès scientifiques et la possibilité d'éternité
sans trouver ma place dans le grand monde
sans pouvoir envisager la noblesse de
ce passage sur la terre
malgré un plan de vie bien tangible
des actions au quotidien
une hyperactivité occupationelle
mais dont je ne vois aucune issue
aucun bien-fondé stratégique
rien à accomplir
pas de saint-graal à trouver
aucune chasse au trésor
rien nil niet nada
je ne suis pas étouffée dans un tunnel noir
ne vous méprenez pas
j'exulte au soleil quand il se pointe
et lorsque je piétine ma terrasse
et contemple la vigne et savoure le café
j'aime ce petit bonheur
puis rapidement je me dis
okay so what
il reste comme chez plusieurs
une petite tache noire dans l'angle mort de mon âme
on ne peut pas la percevoir
on ne sait pas d'où elle origine
elle ne fait pas mal
elle veille
c'est très métaphysique mon rapport à la vie
ça a la prétention de vouloir s'inscrire
dans la grande ou la petite histoire de l'humanité
mais comme j'haguis la petitesse
allons-y pour la grande
et dans l'histoire vivante
s'il faut vivre
il faut bien qu'il y ait une raison
et je ne la trouve pas
malgré mes années de pérégrination
je demeure fébrile
restless
je veux toujours fuir
et malgré les prédications de mon mari adoré
qui m'implore constamment de lâcher prise
d'arrêter de me questionner
et juste de vivre
je trouve cela nul et non avenu
de ne pas me questionner
quand j'en ai la capacité
ne pas vouloir vivre quand on est heureux
c'est tout simplement scandaleux
à vingt ans je me disais que je vivrais
jusqu'à trente ans avant d'avoir à me définir
à trente ans je me laissais jusqu'à quarante
depuis quarante ans comprenez donc
que je me cherche sans arrêt
je pense que c'est cela le luxe de celui qui ne manque de rien
de chercher sans cesse un sens à sa vie
comme un singe intelligent
mais pas assez pour le trouver
finalement
comme une bête de cirque
je me lève chaque matin
et je m'oblige à vivre avec gratitude
et à apprécier chaque nouvelle minute
que le bonyieu me donne
pour pouvoir me réinventer
quelle lassitude
quand je pense à mourir
et que je tâte mon corps en santé
je me dis que c'est du gaspillage
que ça peut encore servir
mais à quoi donc
j'aurais envie d'être légère
et partir à courir pendant des kilomètres
puis des lustres
et que mon corps fonde comme un glaçon
et disparaisse au point de fuite
bien sûr qu'on n'a jamais attenté à ma vie
ni la maladie ni la violence ni l'accident
ne m'ont encore frappée
et même le char qui tournait rapidement dans la rue
je lui ai crié
si tu m'écrases
je te tue
voyez comme je deviens mauvaise
quand je manque de mourir
pour moi le suicide
c'est juste un outil
un outil de gestion de la durée de vie
un outil de contrôle
le ciseau qui coupe le cordon
une façon de décider
une manière comme une autre d'avoir le dernier mot
de savoir pourquoi.
ps : ceci n'est pas un appel à l'aide, c'est une réflexion.
c'est un sujet grave que je ne voudrais pas minimiser.
j'en parle peu car en parler c'est un peu le provoquer.
donc, je présente mes excuses
à ceux que j'aurais pu offenser avec mes mots trop lourds et trop légers.
à ceux qui ont perdu des proches
et à tous ceux qui souffrent,
je vous encourage à demander de l'aide.
211 ou 1-866-appelle
(crisse comment on peut se souvenir de ça?).
je m'excuse auprès de tous ceux
qui croient férocement en la vie,
qui la donnent, qui la maintiennent,
qui en prennent soin, qui la chérissent.
par respect, je ne vais pas vous démentir,
et je reste car j'aime beaucoup aimer.
ah, et puis, il y toute cette culpabilité à gérer,
toute cette lourdeur administrative
que crée un départ inattendu.
la vie, c'est vraiment toute une obligation...