Chloé Benjamin
Editions Stéphane Marsan
Traduit de l'anglais par Florence Moreau
Avril 2018
404 pages
19 euros
Roman contemporain
Quatrième de couverture : New York, été 1969. Pour tromper l'ennui, les enfants Gold ne trouvent rien de mieux à faire que d'aller consulter une voyante capable de prédire avec exactitude la date de leur mort. Si Varya, Daniel, Klara et Simon veulent tous savoir de quoi demain sera fait, ils sont loin de se douter, de ce qui les attend. Des années plus tard, hantés par cette expérience, ils vont faire des choix de vie radicalement opposés et, chacun à leur manière, dans l'hédonisme, l'illusion ou la science, tenter d'échapper à la prémonition qui leur rappelle chaque jour l'urgence de vivre. Fresque de grande envergue, à l'ambition et à la profondeur remarquables, Les Immortalistes explore la frontière entre la destinée, le livre arbitre, la réalité et l'illusion, la superstition et la foi.
Pourquoi je me suis penchée sur ce roman ? Tout d'abord le titre m'a interpellé ainsi que le synopsis que je trouvais très intéressant et prometteur. Comment votre vie est-elle conditionnée si vous connaissez la date exacte de votre mort ? Le thème est à la fois flippant et existentiel mais aussi philosophique et il faut le dire assez tentant car j'ai bien aimé la figure de la diseuse de bonne aventure.Ensuite les éditions Stéphane Marsan est tout nouveau sur le marché littéraire et je voulais en savoir plus sur leur ligne éditoriale : "Une collection d’écrivains, dédiée à leurs voix singulières, leur talent, leur propos, leur vision du monde et du temps. Une littérature du réel, actuelle et humaine, dont les sujets et la sensibilité trouvent un écho dans la vie de chacun d’entre nous. Des histoires individuelles qui s’inscrivent dans les moments forts de la grande histoire et les enjeux de la société, et les reflètent, les éclairent ou les contestent. Des vies ordinaires qui deviennent des destins extraordinaires." Site Stéphane Marsan
Nous allons suivre le destin d'une famille juive dans le New York des années 70 à travers le regard de 4 enfants : deux frères et deux soeurs qui un jour d'été décident sur l'initiative du frère aîné d'aller voir une diseuse de bonne aventure. Elle promet de donner la date exacte du décès de chaque personne qui la consulte. Chacun des enfants Gold va ressortir ému, éprouvé ou choqué par cette révélation... mais quel poids accordé, quelle crédibilité donnée aux prédictions de la voyante ? Si Varya est promise à une longue vie, il en est tout autrement pour ses frères et sa soeur... Comment le destin va les pousser vers ce jour fatidique ? A la mort de leur père, la famille éclate en commençant par Simon qui à 16 ans décide de quitter le domicile et d'aller vivre une sexualité libre à San Francisco. Il est accompagné de sa soeur Klara qui désire d'être magicienne et met au point un numéro "Les immortalistes". Puis il y a Daniel qui n'a jamais accepté leur départ qu'il a vécu comme un abandon, une trahison. Il s'engage dans des études de médecine. Reste Varya qui doit s'occuper de sa maman et qui rêve enfin de pouvoir vivre sa vie pour elle et non pour sa famille.
Le grand point fort de ce roman est de suivre une saga familiale sur fond de coutumes et de superstitions juives qui retrace plusieurs décennies des Etats-Unis, de la découverte du SIDA jusqu'aux attentats du 11 septembre. On entre dans une Amérique moderne par l'intermédiaire de 4 parties (une pour chaque enfant). Dans la première partie, nous suivons Simon, dans le San Francisco des années post seventies à l'émergence du "cancer des gays" ou le sida, cette maladie qui fait des ravages. Simon veut vivre sa vie à fond, il ne se protège pas, il mène sa sexualité comme il l'entend et cela le conduit à contracter la maladie et à s'éteindre dans un lit d'hôpital, loin de sa famille.
Puis, c'est Klara que nous rencontrons et je l'ai adoré. Toujours à San Francisco et ensuite à Las Vegas, Klara a profondément été choqué par la mort de Simon et ne peut s'empêcher de penser qu'elle l'a conduit à sa mort. Klara tente de vivre de son art, la magie, l'illusion, la transfiguration. Elle rencontre Raj, un Indou avec qui elle a un enfant, Ruby. Mais la mort de Simon la transforme, la peine, la déprime, la change et elle croit l'entendre. Elle se sent hantée par une enfance perdue, une innocence volée... la menant à un geste fatal. L'histoire de Klara m'a captivé et j'ai été vraiment bouleversée par sa fin.
Puis, c'est Daniel le médecin. Il est en proie à un changement dans sa vie, métier, famille, marié sans enfant. Le rapprochement avec sa nièce Ruby, lui fait comprendre combien il a manqué des choses dans sa vie, combien il a de regrets, comment il voudrait revenir en arrière et faire autrement. Il repense à la voyante. Elle est recherchée par un agent du FBI pour escroquerie et cela conduira Daniel sur un chemin dangereux.
Je suis bluffée par ce roman, par sa cohérence, sa construction, ses réflexions, son engagement à nous montrer comment nos vies peuvent être déterminées par une rencontre décisive, par la prédisposition de l'être humain à accomplir malgré lui une voie qu'on lui a indiqué. Tout le long du roman, j'ai été prise par cette ambiance à la fois tragique, envoûtante et fascinante. C'est très bien écrit, bien mené... c'est fort et émotionnellement ce roman est percutant. Il questionne sur le sens de la vie, la notion de destin, comment nos actes et notre parcours influencent des choix, des décisions pour nous conduire là où nous sommes. Comment refaire le monde, comment revivre sa vie avec des "si".
Alors je ne dirais pas que j'ai adoré tous les passages de ce roman mais j'en ressors terriblement convaincue et mélancolique par le poids des sentiments décrits, par l'intensité dramatique de tout ce qu'a vécu cette famille. Le propos a des échos et des résonances dans notre propre vécu. Le roman est intéressant et je voulais le dévorer mais force est de constater que je l'ai plus apprécié en prenant mon temps, en le lisant sur une semaine, un peu tous les soirs pour méditer sur la voie choisie par les personnages. Et en lisant la dernière ligne, c'est comme un uppercut au coeur... on se sent si petit face au destin. Incontestablement, un des meilleurs romans contemporains que j'ai pu lire en cette année 2018!