Le succès connu par At Least For Now en 2013 chez lui (id est, au Royaume-Uni bien sûr, mais également en France, son pays d’adoption…) aurait pu lui monter à la tête, lui donner l’envie de réitérer sans se poser de questions, voire de lisser son style, ou tout simplement de se policer.
Au contraire, loin d’être devenu un artiste pop, et alors que ce premier album n’avait finalement et ironiquement rien d’un album populaire, le chanteur pianiste trouva ainsi le moyen de prouver que tout art peut toucher dès lors que la sincérité est la première qualité de son créateur.
Je me souviens encore de ma découverte du tout premier single de Gorillaz pour Humanz l’année dernière : il s’agissait de « Hallelujah money », qu’interprétait justement Clementine. Je pense que le clip m’avait autant aveuglé que rendu sourd, car je n’avais pas aimé du tout. Pourtant, quand par la suite j’ai découvert la chanson dépourvue des images, au sein de cet album bien décevant à mon goût, alors quelque chose se révéla.
Aujourd’hui, après avoir pris le temps d’écouter d’abord At Least For Now puis I Tell A Fly, je comprends. Je comprends pourquoi Damon Albarn et lui ont collaboré. En plus d’être un artiste au sens classique du terme, Benjamin Clementine est indubitablement ce qu’on ne peut qu’appeller un… personnage.
À l’écoute de sa musique, Benjamin Clementine me rappelle inexorablement de très grands noms, parmi lesquels Rufus Wainwright pour ce qui est de la singularité et de la personne et de l’œuvre.
Si le premier album était particulièrement autobiographique dans son ensemble, ce nouveau travail n’en est pas moins personnel dans le choix des thématiques qui sont, assurément, très chères à l’artiste : de ce qu’il se passe dans le monde notamment en Europe avec les migrations (« God save the Jungle » ou « By the ports of Europe » sur laquelle sa voix me fait penser à certains moments à Freddy Mercury) à la guerre en Syrie (« Phantom of Aleppoville »), entre autres. Il y a aussi une allusion tout aussi explicite dans « One awkward fish », que Clementine considère comme une version revisitée du légendaire « Strange fruit » de Billie Holiday.
S’il existe une continuité certaine entre les deux disques, I Tell A Fly sonne moins classique que son prédécesseur, tant il s’ouvre à de nouvelles sonorités. Pour preuve, l’utilisation d’un synthétiseur extrêmement rare qu’il aura eu la chance de trouver… dans le studio de Damon Albarn ! Cela, parce qu’il a découvert la musique du Japonais Isao Tomita il y a peu, ce dernier réarrangeant des œuvre de Claude Debussy, ses influences premières demeurant également notables bien entendu (Erik Satie).
Il est rare d’entendre des albums si vivants que l’on a l’impression presque perceptible que l’on est en plein spectacle, assis devant une scène où se déroulerait un opéra. L’ajout de la batterie d’Alexis Bossard ajoute plus que jamais une touche tout à fait contemporaine à la musique a fortiori classique de l’Anglais, le batteur jouant d’une façon très dynamique, presque live, les rythmes s’approchant de ce que l’on peut entendre dans certaines musiques électroniques.
Benjamin Clementine habite littéralement son univers, du chant à la musique, et, déjà, je confirme que, pour moi, c’est un artiste que je classe à côté de Rufus Wainwright et Antony Hegarty (désormais caché sous son magnifique pseudo Anohni).
Qu’il prenne son temps, mais j’ai hâte d’entendre vers quoi ira son prochain album. Et je lui prédis sans le moindre doute un futur à la Amy Winehouse pour ce qui est de l’empreinte qu’il laisse(ra) à la musique, la tragédie en moins. En somme, il est déjà une référence à lui tout seul.
(in heepro.wordpress.com, le 08/06/2018)
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