Parcoursup, une machine qui détruit les possibles, les parcours de vie évolutifs, et classe les rêves d’une jeunesse….
Sélection. Quand un brouillon de vie devient, avant l’heure, notre copie au propre, il se passe assurément quelque chose d’anormal, non? Jouant jadis aux mater ou paterfamilias imbus de nos prérogatives, nous disions à nos jeunes: nous conservons, vous innovez! Transmettre aux suivants pour qu’ils s’instruisent et vivent mieux que nous était une devise sacrée, un objectif et une raison d’être d’autant plus essentiels qu’ils nous accordaient de la fierté. Oublié, tout cela. Rayé de la carte. Inutile d’entrevoir la possibilité même de «transformer une vie en destin», comme le murmuraient les vieux sages. Bienvenue dans Parcoursup, édifié à la hache. Une hache à double lame. À la fois coupeur de têtes mais aussi briseur de songes! Chacun a compris que la sélection opérée par la plate-forme désormais en vigueur pour l’entrée à l’université était porteuse d’injustice et d’arbitraire, biaisée socialement. Les lycéens des quartiers populaires ne sont pas des victimes fictives: Parcoursup renforce la ségrégation territoriale. C’est la première lame. La seconde, moins visible, s’avère tout aussi destructrice : telle une machine aveugle, avec ses censeurs anonymes et ses mystérieux algorithmes, le système impose une approche comptable et malthusienne qui nie le respect fondamental de la liberté et du potentiel – forcément évolutif – de chacun. Résumons d’une phrase : Parcoursup classe les rêves d’une jeunesse…
Négation. Le bloc-noteur doit la vérité à ses lecteurs. Autant il avait perçu le gigantesque déterminisme social de Parcoursup (un de plus dans les rouages de la société), autant il convenait de lire une tribune exceptionnelle de la sociologue Cécile Van de Velde, publiée dans ''le Monde'', pour que la prise de conscience «philosophique» jaillisse dans toute sa clarté, histoire de replacer la question de l’«être» et du «système» au cœur de notre monde tel qu’il mute.
De quoi s’agit-il? D’un changement de paradigme qui concerne l’à-venir de nos gamins, donc de la France de demain. La pire qui soit en vérité: «Une allocation automatisée des places et des chemins de vie, écrit Cécile Van de Velde. Celle de ces “petits aménagements”, anodins en apparence, destinés à une “gestion optimale” des ressources, mais qui touchent en réalité de façon profonde les fondements mêmes de nos libertés individuelles et de notre démocratie.» Pour la sociologue, l’affaire est grave: «De façon concrète, Parcoursup, c’est laisser explicitement un “système” administrer, classer, ordonner les rêves d’une génération. C’est laisser symboliquement une organisation centralisée trier les choix et les possibles d’un individu.» Autrement dit, la négation du potentiel de chacun, qui se trouve réduit de façon opaque – à moins que ce ne soit très pensé au contraire (sic) – à un passé scolaire et bien souvent à un territoire d’origine. Réfléchissons bien, nous invite Cécile Van de Velde: «La question est de savoir si nous trouvons normal que des individus aient explicitement leurs aspirations menacées, voire oblitérées, par une autorité centrale, allouant les places et les avenirs. Nous sommes en train de soumettre les jeunes Français à une expérimentation incertaine, qui plus est à grande échelle, tout en trahissant notre promesse sociale d’une université ouverte. Parcoursup nous place devant une dérive techniciste de la recherche de l’optimalité.» Résultat? Plus de choix, plus de rêve… et même plus de seconde chance. Chacun d’entre nous pourrait pourtant citer les noms de ses amis, lycéens médiocres, mais qui se révélèrent d’excellents étudiants à l’université. Le déterminisme français ira bientôt jusqu’au bout de la logique libérale: la réussite scolaire initiale et le lieu de l’enseignement seront des freins éternels. Préfiguration de l’horreur absolue. Et une brèche majeure dans notre contrat social et générationnel.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 8 juin 2018.]