C’est aujourd’hui qu’il faut absolument goûter le talent d’Anne Legrand qui est en train de s’épanouir.
Ceux qui ont eu l’opportunité et même la chance de découvrir les débuts de David Rose à Paris, dans son restaurant de la rue de la Tour d’Auvergne, n’oublieront jamais cette petite salle où l’on faisait pratiquement la cuisine avec lui. Une expérience inoubliable d’assister à l’éclosion de ce remarquable talent. Spring s’appelait le restaurant.
On ressent un peu le même sentiment aujourd’hui avec la chef Anne Legrand. Cette impression à nouveau d’assister à l’émergence sinon à la révélation d’un talent qui ne demande qu’à exploser. Seule, avec un aide cuisinier dans cette toujours aussi minuscule cuisine, elle définit petit à petit son style, encore sous l’influence très palpable de ses chefs qui l’ont marqué et tiré vers le haut : Sylvain Sendra (Itinéraires), et surtout Christophe Pelé (Bigarade, Clarence) avec lequel elle a travaillé deux ans.
La volonté, sinon la posture, est globalement celle de cette jeune (et moins jeune maintenant) génération qui a instauré des codes dans lesquels la chef se glisse avec volupté et détermination. Exigence de la simplicité, s’effacer devant le produit comme un vigneron nature devant sa vinification, fascination qui tourne parfois à l’obsession devant la fraicheur virginale d’un poireau ou d’un chou fleur, et tous les autres légumes, herbes, poissons et autres ingrédients d’une cuisine qui se veut respectueuse de celui ou celle qui travaille la terre. Surtout ne pas travestir ni cacher une vérité rêvée de l’essence d’un produit, simplement le modifier pour en tirer le meilleur à l’aide de cuissons non agressives mais précises.
A ses cotés, Jonathan Caron. Ils se sont rencontrés, puis perdus de vue, puis retrouvés dans diverses maisons parisiennes avant de décider de s’associer pour le meilleur et surtout pour vivre leur passion commune d’une certaine forme de cuisine. Il s’occupe plus particulièrement de la sélection des vins avec une tendance marquée, il fallait s’y attendre, pour des vignerons qui travaillent en biodynamie et une sélection de vins nature. Un choix précis et pointu qui permet de belles découvertes au cours du menu avec accords mets et vins, ou par les vins au verre à prix volontairement serrés (à 7 € et 8 €). Même approche volontariste de Jonathan sur le prix des bouteilles avec des marges minimes pour permettre à tous de goûter et de découvrir. Cette philosophie inspire également les prix des menus au déjeuner comme au dîner.
Ainsi, L’Innocence est né. Un nom étrange, évoquant une sorte de pureté virginale, une approche candide, presque enfantine, de la cuisine où tout peut arriver sans qu’on le veuille vraiment. Pourtant la concentration d’Anne est palpable et elle semble laisser peu de places au hasard. La salle est agréable, décorée avec goût, belles serviettes en coton blanc, bouquet de fleurs sur table, des détails qui comptent.
Le midi, trois propositions de menus à trois plats, ou deux plats différents.
Amuse-bouche en discrétion : Tuile à l’encre de seiche, purée de cèleri. Finesse et saveur.
La chef a rôti le chou fleur, marque de fabrique actuelle, qui passera, mais qui parait incontournable. Gain de goût ? Aucun. Texture ? Un peu mais pas de quoi en faire une mode, un tic tout au plus. Elle le sert avec un fromage blanc assez neutre, et de légers parfums de yuzu et de citron. Un plat un peu plat.
Une alliance superbe, fine et délicate, dans les textures et dans les saveurs, et un camaïeu de couleurs séduisant dans l’assiette. Ce sont des Asperges blanches saisies au feu, œuf cuit à basse température, mascarpone, estragon, épinards. Beau et bon.
Splendide Poularde d’Etienne Gaudard, à la cuisson parfaite, bien saisie sur peau, fleurs d’arroche (proche de l’épinard), jus de volaille et râpé de pecorino où la chef a eu un peu la main lourde ce qui donne un goût de brebis un peu envahissant. Petit détail qui n’entame en (presque) rien la splendeur du plat.
Fruits de saison : rhubarbe, fraises, en une intéressante construction avec amandes et oseille. Fraicheur, équilibre et un festival de saveurs.
L’aventure commence. Elle est aux prémices et à l’aube de ce qu’ils peuvent donner tous les deux. Ils sont en train d’éclore dans leur premier lieu qui leur appartient en propre. L’avenir est pavé de bonnes intentions. Anne Legrand a le talent, inné et acquis, la volonté, les idées de plats à la fois étonnants et prévisibles mais toujours plein de saveurs discrètes mais marquées.
Sa cuisine est franche, actuelle bien sûr, mais avec déjà une personnalité forte. Il lui faut sortir de la gangue de ses influences mais c’est aujourd’hui qu’il faut absolument goûter ce talent qui est en train de s’épanouir.
28, rue de la Tour d’Auvergne
75009 Paris
Tél : 01 45 23 99 13
reservation@linnocence.fr
Réservation souhaitée
www.linnocence.fr
M° : Cadet
Fermé dimanche
Ouvert le midi : vendredi et samedi (12h15 / 13h30)
Ouvert le soir : du lundi au samedi (18h30 / 22h30)
Menus déjeuner
Primevère : 30 € (3 pétales)
Menu Tagède : 25 € (2 pétales)
Menu Capucine : 23 € (2 pétales)
Menu dîner
Carte Blanche : 49 € (6 pétales)