Bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler d’une publicité, ce nouveau billet s’ajoute bien aux deux précédents en ce sens qu’il s’agit, sans l’ombre d’un doute, d’une vulgaire réclame vantant les mérites du jeune régent saoudien. En outre, il fait le lien avec le prochain qui portera en principe sur de nouveaux modes de communication politique par certains régimes arabes, en l’occurrence via les feuilletons de ramadan. Pour l’heure, le sujet qui nous occupe aujourd’hui – abondamment repris par la presse, arabe et internationale (Russia Today ou Le Monde entre autres exemples) – a trait à un entretien annoncé par une photo qui orne la dernière livraison de l’édition arabe du magazine (féminin) Vogue Arabia.
La version arabe de la publication nord-américaine, la 22e pour ce magazine plus que centenaire, a été lancée il y a tout juste un an pour la version papier, et elle a décidément bien des soucis avec ses couvertures. Pour sa première livraison, le magazine avait en effet choisi une photo du mannequin Gigi Hadid, une des stars de la profession par ailleurs d’origine arabe (et même palestinienne pour plus de précision). C’est peu dire que les réactions à ce portrait ont été mitigées : à côté de ceux et celles qui ont salué cette manière d’inciter la mode internationale à intégrer « toutes les personnes et toutes les coutumes », comme l’a glosé la modèle elle-même, cette luxueuse synthèse de la modernité et de la tradition arabe et musulmane a suscité bien d’autres commentaires du côté de celles (et ceux) qu’ont singulièrement agacé.e.s les déclarations de la diva de la mode globalisée, en mettant en avant, de façon très opportuniste, des racines familiales et culturelles fort peu présentes jusqu’alors dans son travail ou même dans sa vie publique. Néanmoins, c’est une fois de plus la très très sensible question du voile (présent sur tous les clichés du mannequin dans ce numéro) qui a provoqué les réactions les plus enflammées de croyantes musulmanes, tantôt offusquées par ce signe religieux brandi comme un accessoire de mode, tantôt irritées de voir ainsi vanté un symbole de la domination masculine dont la légitimité religieuse n’est pas si assurée qu’on veut bien le dire. Quant aux réactions, hors monde arabe, parmi celles et ceux qui n’apprécient pas les « signes religieux ostentatoires », pour parler comme le législateur français, fussent-ils terriblement tendance et horriblement onéreux, inutile d’en dire davantage…
Au moins, cette première avait réussi à atteindre un de ces objectifs : faire du buzz et susciter de la curiosité pour le lancement de l’édition arabe du magazine de luxe. On ne peut pas en dire autant de la couverture qui fait à nouveau jaser ce mois-ci. On y voit en effet Son Altesse Royale (S.A.R.) la princesse Hayfa bint Abdallah al-Saoud (هيفاء بنت عبدالله آل سعود) au volant d’une magnifique décapotable, sur fond exotique de dunes désertiques bien entendu. Gantée de cuir et tout de blanc vêtue, y compris le voile (ce qui est tout de même plus photogénique que l’austère et très wahhabite robe noire de rigueur dans l’espace public), ce cliché sur papier glacé du luxe et de la distinction aristocratique féminine a pour but de célébrer la permission de conduire désormais accordée aux femmes du Royaume. Plus largement, il s’agit dans ce numéro de Vogue Arabia de faire l’éloge, au pays des deux Lieux saints, des pionnières de l’émancipation féminine, telle Saja Kamal (سجى كمال) qui cherche notamment à développer le football féminin dans son pays (sans nul doute avec le soutien, s’il lui reste des fonds, d’al-Walid bin Talal : voir ce billet de 2009, le thème était déjà présent !).
Parmi les autres combattantes de l’émancipation féminine présentées dans ce dossier figure, bien entendu, Manal al-Sharif (منال الشريف), pas la première mais néanmoins la plus célèbre des femmes qui ont manifesté en Arabie saoudite pour que leurs droits s’étendent à celui de conduire une voiture. Sur son compte Twitter, l’activiste saoudienne s’est bien entendu réjouie de voir Vogue Arabia célébrer de la sorte la cause des femmes, en rappelant toutefois que les « véritables héroïnes » portaient d’autres noms. Elle en mentionne trois qui figurent précisément parmi la petite vingtaine de militant.e.s (à nouveau) arrêté.e.s – mauvais timing pour les rédacteurs de Vogue Arabia… – juste au moment de la sortie du magazine glamour vantant le féminisme local (17 arrestations avec 8 remises en liberté provisoire). Inévitablement, on s’est beaucoup moqué de S.A.R. la princesse, tout à coup convertie aux vertus du féminisme. C’est rarement mentionné mais il se trouve que l’héroïne de la couverture de Vogue Arabia est, à la ville, l’épouse du très très sulfureux prince Bandar bin Sultan, longtemps à la tête, entre autres activités, des services secrets du Royaume et à ce titre très certainement au courant de la répression de celles et de ceux qui luttaient pour les droits des femmes au Royaume. Peut-être en relation avec les activités de son mari, S.A.R. la princesse Hayfa fut par ailleurs un temps soupçonnée d’avoir contribué au financement des terroristes du 11 septembre (voir sa notice sur Wikipedia).
Pour mieux exprimer leur refus de voir le combat en faveur des femmes saoudiennes récupéré de la sorte par un magazine qui est tout sauf engagé, certain.e.s se sont amusé.e.s sur les réseaux sociaux à remplacer le visage de de la princesse Hayfa sur la couverture du magazine du luxe par celui des militantes actuellement emprisonnées. Quant aux rédacteurs de Vogue Arabia, ils obéissent aux consignes et se livrent bien évidemment, sans totalement négliger leurs habituels reportages sur des sujets assez futiles, à un médiocre exercice de propagande en faveur des politiques que mène l’héritier du trône. Ils chantent ainsi les éloges d’une loi contre le harcèlement sexuel qui n’est pourtant qu’en projet alors qu’ils n’ont pas un mot pour rappeler les très réelles difficultés du long combat en faveur des femmes saoudiennes pour lesquelles certaines (et certains également, il faut le souligner) endurent de lourdes peines de prison (aux côtés de milliers de détenus pour des délits d’opinion, le plus souvent sans véritable instruction judiciaire).Si cela ne leur plaît pas, « qu’ils mangent de la brioche » comme l’aurait dit, autrefois, une autre altesse royale !…