(Note de lecture) Françoise Le Bouar, "Le Fouillis du ciel, de la terre et des eaux", par Philippe Di Meo

Par Florence Trocmé

Lentes progressions de rides sur l’eau, souffles légers révélés par des brumes, brins d’herbe imperceptiblement effleurés, éclosions et matérialisations diverses, c’est ainsi que s’offre au lecteur la fine calligraphie de Françoise Le Bouar.
Une fausse fragilité de givre préside à l’apparition du poème qui n’entend rien ajouter au créé mais seulement célébrer. Un créé senti avant tout comme inépuisable émerveillement renouvelé, et comme étreint par une tendresse tout à la fois timide et décidée.
Cette fausse simplicité flue comme un ru sans obstacle dans l’espace et le temps, et autres éléments primordiaux, pointés dès le titre comme le lieu du poème et presque comme un auteur indirect.
Le poète se voulant, semble-t-il, avant tout un révélateur. Un adorateur. Un brin jaloux de ses trésors, signalés presque malgré lui sur un mode nettement allusif. À l’orée d’une langue privée, peut-être. Ce qui est dit n’est, paradoxalement, qu’une parcelle d’un dire. Jamais dit, ni peut-être dicible. Par délicatesse et manque d’autorisation ? Quoi qu’il en soit, l’instance de l’œil paraît centrale. Œil-œil et œil-psyché.  Parfois.
L’espace et le temps d’un vécu dans le quotidien d’un regard sensuel, d’une sensualité hésitante et comme retenue, dont c’est peut-être le rapport au monde : celui d’un enfant dénombrant l’univers, l’univers-vie, satisfait de l’énumération qu’elle suppose, sans fin chantonnée et rechantonnée entre les dents.
Le lecteur parcourt l’ordre du désordre des perceptions, de leurs successions, et accumulations, sans que nulle pesanteur autre que de plume n’en résulte.
Le désordre est toujours premier, toujours recommencé. Ce n’est pas qu’il soit voulu, c’est qu’il échoit. Il est l’expérience refaite chaque jour et aussitôt effeuillée plus que thésaurisée. L’une emboîte le pas à l’autre. Aucune ne s’additionne vraiment. Effet d’éphéméride. Absence de hiérarchie.
Même au-dessus des stèles d’un cimetière champêtre, la poésie de Françoise Le Bouar n’en est pas encore à l’Et in arcadia ego. Elle est en-deçà. Du côté de l’enfance. D’une enfance continuée. Dans l’émerveillement de la merveille pourrait-on oser dire. Sentie comme proche et lointaine. Fugitive aussi, mais sans que nostalgie s’ensuive franchement.
Alors le polymorphisme arpenté n’évoque ni une construction ni une déconstruction, mais la décalcomanie. Une décalcomanie autosuffisante comme acte en enfance et trace précaire.
Face à des tilleuls, éloignement et proximité, le mot allemand, et le poème avec lui, s’approprie l’arbre et son épiphanie dans ce que l’oreille perçoit comme le tintement d’une cérémonie intime secrète : Linden. La joie de l’épeler ? Traduction-éloignement comme appropriation ?
Philippe Di Meo

Françoise Le Bouar, Le Fouillis du ciel, de la terre et des eaux, L’Herbe qui tremble, 100 p., 14€.