La pièce de Wedekind mérite sans aucun doute un tel déploiement théâtral. Écrite il y a plus d’un siècle, en 1890-91, au fil de la plume, séquence après séquence (« J’ai commencé à écrire sans aucun plan, avec l’intention d’écrire ce qui m’amusait. Le plan s’établit et combina des expériences personnelles et celles de mes camarades d’école », avouait-il), elle parvient à faire vivre dans toutes ses dimensions, intimes, familiales, sociales un groupe d’adolescents, tous travaillés par le désir et la sexualité. Wedekind qui avait déjà abordé cette thématique dans Les Jeunes gens, écrit à peu près à la même époque, n’élude rien dans sa pièce. Freud, qui en avait eu connaissance, ne manqua pas de marquer son intérêt pour les « cas » présentés dans cette « tragédie enfantine ». Et c’est Jacques Lacan qui, en France, préfacera la première édition du texte traduit par François Regnault, en son temps également un grand collaborateur de Patrice Chéreau… C’est ce texte qui est joué ici dans son intégralité ; on déroge ainsi quand même à la « méthode » Chéreau lequel n’hésitait pas à adapter ou à couper les textes sur lesquels il travaillait, comme il est clairement notifié dans le premier volume de son Journal de travail qui vient de paraître à Actes Sud-Papiers.
Cette grâce qui est celle des acteurs chargés d’interpréter ces rôles d’adolescents ; si on a du mal au début à envisager ces comédiens adultes en très jeunes gens, le malaise finit par se dissiper sous l’impulsion du trio majeur autour duquel se noue la tragédie, soit Christophe Montenez, étonnant dans le rôle (l’élève Moritz) de celui qui, dépassé par les événements, finira par se suicider, et même s’il a tendance à en faire un peu trop dans la grâce adolescente, alors que Sébastien Poudéroux (Melchior) assure avec une belle justesse sa lourde partition, et que Georgia Scalliet impose avec ferveur la juvénilité de son personnage (Wendla). Un trio majeur donc bien « encadré » par leurs aînés, (les parents dans la pièce, tous remarquables).
Clément Hervieu-Léger et son équipe rendent parfaitement justice à la pièce de Wedekind même si la dimension concernant le cirque et la clownerie annoncée dans la note d’intention du metteur en scène n’est guère présente.
Jean-Pierre Han
L'Éveil du printemps, de Frank Wedekind Mise en scène de Clément Hervieu-Léger Comédie-Française, jusqu'au 8 juillet à 20h30. Texte de la pièce dans la traduction de François Regnault, in Théâtre complet, tome 1, de Frank Wedekind. Éditions théâtrales, 1995.
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