A cet endroit là, vous pouvez télécharger un *pdf très intéressant de Henri Hugonnard-Roche intitulé Platon en syriaque. Je me permets de vous en donner quelques extraits et de les commenter.
* Premier fait important que rappelle l'auteur: la contiguïté entre les derniers philosophes grecs de la période hellénistique (les derniers correspondant à des chrétiens néoplatoniciens: Elias, David). Lorsqu'on prend un ouvrage de vulgarisation, on croit qu'il y a eu les derniers commentateurs puis que se sont imposés les syriaques puis enfin les arabes. L'auteur rappelle que, par exemple, Sergius de Reshaina a probablement suivi les cours d'Ammonius.
Le développement de ce qui se fait en philosophie dans la langue syriaque est contemporain de ce qui se fait, et qui continue de se faire, dans la langue grecque. On voit donc que l’idée d’une transmission du grec au syriaque à l’arabe est trop simple, dans la mesure où ce qui se fait en grec est, pour une large part, contemporain de ce qui se fait en syriaque.
Il y aura une conséquence très importante de cette contiguïté, c'est que des textes grecs non traduits en syriaques pouvaient très bien être connus de syriaques, des textes connus des syriaques pouvaient être connus des arabes par Kindi ou Farabi même s'ils n'en restent aucune trace écrite aujourd'hui. Cet arguement bien entendu doit être utilisé avec prudence car supooser un texte connu sans preuve peut mener à soupçonner derrière un texte arabe une source grecque perdue - hypothèse dont peut abuser quelqu'un comme Richard Walzer.
* Second fait important: les sources sont fragmentaires, ce qui fait que peu de choses nous restent.
Certaines choses ont pu être connues par des lectures directes, parce que les textes que nous conservons en syriaque sont extrêmement fragmentaires : la plus grande partie de cette littérature philosophique, en effet, a disparu. Elle est tombée en désuétude, sans doute, au moment où la culture arabe s’est imposée comme culture dominante à Bagdad, au tournant des VIIIe-IXe siècles. Les textes philosophiques n’ont plus été étudiés, les chrétiens ont travaillé en arabe, et les textes philosophiques en syriaque ont ainsi été perdus ; seulement les textes religieux ont subsisté et, plus particulièrement, les textes patristiques. De la production littéraire philosophique en syriaque nous avons donc très peu de chose.
Je ne répète pas mon commentaire au premier fait mais on n'a pas tort de soupçonner que les syriaques en savaient plus que ce qu'ils nous ont laissé sous forme écrite.
* Troisième fait important: un Platon populaire.
Platon est associé à un certain nombre de textes grecs divers, contenus en général dans des ensembles d’ouvrages dits habituellement de philosophie populaire, qui sont des recueils de sentences ou d’anecdotes moralisantes.
L'auteur donne un exemple qu'on pourrait croire tiré d'un ouvrage de Diogène Laërce:
Étant convaincu que l’homme, par paresse, se laisse dominer par le sommeil, Platon s’est résolu à ne pas dormir. Il habite donc près d’une forge dont le bruit du marteau le maintient éveillé ; mais quand il a été malade, il a remarqué que le sommeil était utile à l’entendement. Platon est donc associé à cette idée que le sommeil profond est superflu et qu’on peut s’en passer pour travailler et apprendre.
Ce qui est intéressant c'est que la tradition arabe dite d'adab a suivi cette tradition syriaque en multipliant les mots d'esprit, les anecdotes sur Platon come l'aurait fait Diogène Laërce ou Plutarque dans ses Propos de table. La tradition syriaque, influencée en cela par le christianisme, est sans doute à l'origine de la description ascétique de Platon que l'on retrouve chez les arabes.
Je vous laisse lire par vous-même cet article fort intéressant dans un domaine très pointu et disponible en téléchargement gratuitement !