Mon dernier billet, qui portait sur les liens économiques entre la Chine et les États-Unis, se voulait un regard mondial après de nombreux focus sur les problèmes européens (L'euphorie avant la grande crise, la fête du travail, chômage et précarité de l'emploi en France, la réalité de la situation économique dans la zone euro, etc.). Mais avec ce qui est en train de se passer en Italie, je me devais d'écrire un billet à ce sujet, d'autant que nous avons consacré la dernière cafet'éco à Sarreguemines à analyser la situation de ce pays.
Les élections générales en Italie
Le 4 mars dernier, les électeurs italiens étaient appelés aux urnes pour élire les 630 membres de la Chambre des députés et les 315 membres du Sénat, pour un mandat de 5 ans. Et le lendemain matin, l'on découvrait ceci :
[ Source : La Croix ]
Bref, les partis traditionnels s'étaient effondrés au profit du Mouvement 5 étoiles (M5S), dont l’idéologie est inclassable mais réputée être d’extrême gauche, et de la Ligue de Matteo Salvini, ancrée à l’extrême droite. Cela dans des proportions bien plus importantes que ne le laissait entrevoir les sondages (voir ce billet que j'avais rédigé ou celui-là plus technique pour comprendre le problème avec les sondages) :
[ Source : Le Monde ]
Difficiles tractations
Commencèrent alors des tractations pour former une alliance pour un gouvernement, qui ne furent pas simples comme le montre l'infographie ci-dessous :
[ Source : France Culture ]
Pour résumer l'histoire, le Mouvement 5 étoiles (M5S) mené par Luigi Di Maio et la Ligue de Matteo Salvini ont fini par s’entendre en excluant le parti de Silvio Berlusconi et ont proposé le 21 mai un « contrat pour un gouvernement de changement » en 30 points. Giuseppe Conte, professeur de droit privé, aussi connu des électeurs que le 131e chiffre après la virgule du nombre pi, fut pressenti pour devenir chef du gouvernement.
Mais lorsque ce dernier proposa la candidature de Paolo Savona (ancien directeur général de la Confindustria, banquier et surtout eurosceptique comme disent les belles âmes) au ministère des finances, le président de la République italienne, Sergio Mattarella, poussa des cris d'orfraie et mit son veto de peur que son pays ne s’engage dans une sortie de l’euro. Il alla même jusqu'à demander à Carlo Cottarrelli, ancien économiste du FMI, de former un gouvernement de transition technico-technocratique en vue de nouvelles élections, de peur que l'Italie ne s'engage sur la voie d'une sortie de l'euro, ce qui n'est pas sans interroger sur le respect de la volonté populaire exprimée dans les urnes. Et de démission en coups de théâtre, de retournements en contre-retournements, Giuseppe Conte finit par prêter serment devant la Constitution.
[ Source : Le Dauphiné ]
Le programme du nouveau gouvernement Conte
Pour faire simple, il s'agit d'un programme anti-austérité, basé notamment sur des baisses massives d’impôts sur les ménages et les PME, un abaissement de l’âge de départ à la retraite et l’instauration d’un revenu universel de 780 euros par mois baptisé « revenu de citoyenneté », une réduction du taux d'endettement public par la croissance du PIB (obtenue par un soutien important à la demande intérieure), le tout mâtiné d’une politique sécuritaire et anti-migratoire propre à satisfaire les partisans de la Ligue.
Le résumé de ce programme dans cette courte vidéo :
Il faut noter que les ménages ont payé un lourd tribut à la crise, ce qui laisse à nombre d'Italiens un goût amer sur le passage à l'euro en 1999 :
[ Source : Natixis ]
Les risques d'un tel programme
Pour l'instant, le déficit public permet de stabiliser le taux d’endettement public
[ Source : Natixis ]
Il est vrai qu'au vu du niveau stratosphérique atteint par l'endettement public (2 300 milliards d'euros soit plus de 130 % du PIB !), il vaut mieux qu'il n'augmente plus :
[ Source : OCDE ]
Il ne faudrait donc pas que ces mesures créent une panique sur les marchés financiers, au point de tendre les intérêts sur la dette publique et de rendre l'État insolvable :
[ Source : Bloomberg ]
On se souvient tous de la mise à mort de la Grèce par les marchés financiers et du pénible sauvetage (est-ce le mot pour une estocade ?) européen. Qu'en serait-il si une économie pesant 20 % du PIB de la zone euro devenait insolvable ? Disons-le clairement : la zone euro serait passée par les armes !
Globalement, les problèmes de l'Italie sont assez bien identifiés :
* stagnation de la productivité du travail depuis deux décennies, qui pèse sur la croissance potentielle et l'investissement ;
* faiblesse des compétences de la population active et taux de chômage toujours très élevé notamment chez les jeunes ;
* grandes inégalités régionales (Nord-Sud notamment) et niveau très élevé de la part de la population exposée à des risques de pauvreté ou d'exclusion sociale ;
* créances douteuses nombreuses dans les bilans des banques.
On pourrait prolonger cette liste, mais je crois qu'elle suffit à comprendre les enjeux économiques et sociaux pour ce nouveau gouvernement. Quant aux enjeux politiques, il faudra voir dans quelques mois si le mariage de la carpe et du lapin a tenu bon...