"pas tout de suite chérie, prend une autre photo pour maman comme ça..."
La mère tendant son téléphone intelligent à son fils de 7 ans pour qu'il la prenne en photo en train de tendre un popsicle vers sa bouche à elle, ouvrant celle-ci avec excitation par cette chaude journée d'été.
"non, elle n'est pas bonne, prends en une autre" dit la mère, redonnant le téléphone à son fils. Elle reprend la pose. Cette fois, c'est la bonne.
"O.K. maintenant fais un video"
"Pas de problèmes" l'enfant n'y était pas à son premier film pour sa mère.
"Bonjour gang! aujourd'hui sur mon Vlog MeMyMwa...."
Tout près, le centre de réhabilitation P.Trépulageul. Une infirmière, Elly, en sort aidant un vieil homme en fauteuil roulant à intégrer une voiture. Elly remarque la mère et son fils. Le vieil homme est orgueilleux et tiens à intégrer la voiture tout seul, sans aide. Elly en profite pour sortir son téléphone et filme, sur Snap Chat, la mère se faisant filmer par son jeune fils.
"Qu'est-ce que vous faites?" demande le vieil homme.
"Oh! je...je créé un meme..."
"un meme?..."
"Une sorte de film de quelques secondes soulignant le grotesque d'une situation, c'est...c'est souvent drôle..."
"Ça me parait pathétique"
"...Oui...ce l'est...un peu..."
On vit dans une ère assez faible, où on laisse les compagnies profiter de nos insécurités et les exploiter au maximum dans le narcissisme absolu. Et on est trop occupé à dire "j'aime" ou à rire pour réaliser qu'on ne vit plus que dans le vide. Elly pensait à tout ça, rendue chez elle. Couchée dans son lit, plongée sur son compte Instagram.
Créant le meme de la mère se faisant filmer/photographier par son fils, le popotin dirigé vers le téléphone en train de dire "Voilà! 3000 likes de plus!", Elly ajouta en texte "je gaspille tant de temps à "aimer" des memes, je quitte tout ça". Elly envoya ça dans "sa story".
Elle consulta tout de même avant les comptes auxquels elle était abonnée.
Buttgirl, une jeune femme travaillant prétendument les muscles de ses fesses, mais les exposant dans des vêtements fameusement moulants plus que quoi que ce soit d'autres.
OBM ou si vous préférez, Nadine, gérant son compte Obsessed By Myself, où elle épouse absolument son narcissisme assumé.
Frenchy, la jeune femme française ne portant jamais de soutifs. Les exposants aussi souvent beaucoup. Voilant aux bons endroits pour que ça reste "légal" sur les réseaux sociaux.
Blavity, le chanteur en quête d'un contrat d'enregistrement. Oh! elle le retrouverait sur Youtube. Ou sur Spotify si jamais il l'avait son fameux contrat.
Tout ce temps perdu là dessus. Je me libère de tout ça. Pensa Elly.
Elle regarda une dernière fois son compte, 246 abonnés, et pressa sur "supprimer compte". Mais ce ne fût pas chose facile. Elle dû s'y mettre à 9 reprises confirmant ce qu'elle avait déjà confirmé, allant même jusqu'à se rendre sur Google pour taper "how to fucking quit..." elle cru enfin réussir à fermer définitivement son compte.
Et s'endormit. Tout ça l'avait lourdement épuisée.
À son réveil, quelle ne fût pas sa surprise de voir, couché à ses côté dans le même lit, Blavity.
"Mais...! MAIS QUI ES TU? QUE FAIS TU LÀ?"
"Tu me connais, Elly, je suis Blavity. T'inquiète, on est resté propre au lit. J'ai composé une chanson pendant que tu dormais. En te regardant dormir tendrement."
"Une...une chanson pour moi?"
"Non, une chanson sur moi. Tu ne veux plus de moi?"
"Tu ne peux pas nous quitter comme ça. Ça ne fonctionne pas ainsi. Tu ne te vois pas? tu es obsédée par moi."
"...HEIN? que fais tu à fumer dans ma cuisine? Et ce n'est même pas vrai, je n'aime même pas ton look stupide à la française!"
"...et pourtant ce bérêt dans l'entrée, c'est exactement le mien!"
"JE NE L'AI JAMAIS PORTÉ!"
Nadine, de OBM, entre à ce moment.
"Tu penses que t'es mieux que nous? tu n'est féministe que depuis l'an dernier. Et tu n'es pas complètement #MeToo non plus."
"Je...je ne suis qu'une infirmière ordinaire..."
"et moi la reine d'Instagram qui relaie ce qu'on lui fait. Tu me quittes, je fais le tour du monde avec la nouvelle et tu seras ruiné dans toutes les sphères de la société. On te barrera à l'entrée de tous les centres commerciaux"
"LAISSEZ-MOI TRANQUILLE!"
Elly tenta de sortir de son appartement, pour tomber nez à nez avec Frenchy.
"Top ten des raison pourquoi les Françaises sont nettement mieux que les Canadiennes: 1-Nous ne sommes pas obèses..."
"NON! PLUS DE LISTES!" Elly se sauva au bas des marches.
"...2-Nous pouvons être des maîtresses accomplies et respectables..."
Elly se rendit jusque sur le terrain du complexe d'habitation et y retrouva Buttgirl.
"Mais...qu'est-ce que...?"
Bientôt, ils étaient tous sortis sur le terrain, dehors, et encerclait Elly, terrifiée.
"Je suis inspirante, je suis ton inspiration"
"Tout le monde dit que je suis une jeune Jane Birkin"
"Je chante comme un ange, je suis la voix du ciel. De ton âme."
"Nous avons toutes tes infos du net de toute manière, aucune chance de t'en sortir."
Désorientée, Elly tombe au sol. Paniquée.
"J'AI LE DROIT DE QUITTER TOUT ÇA!"
"N'y a-t-il pas un secret que tu n'as jamais avoué?"
"...quelque chose que tu ne t'es jamais permise ailleurs?..."
"...Tu n'iras nulle part"
Blavity tendit le téléphone d'Elly, à Elly.
"Regarde...tu as maintenant 500 000 abonnés."
"Mais je...je.. je ne suis qu'une infirmière ordinaire...."
"Tu vas quitter tout ça maintenant."
"Et commencer à faire de l'argent pour vrai"
Elly passe de la stupeur au soudain ravissement attendri.
"500 000, ce n'est pas rien"
"Tu seras comme nous, Elly"
"On peut officiellement être amis maintenant"