Annihilation – Monstrueuse beauté

Par Le7cafe @le7cafe

Annihilation est un voyage oxymorique aux confins de l’univers et de la pensée humaine.

Après Avengers : Infinity War la semaine dernière, on reste dans les films colorés parlant d’annihilation avec… bah, Annihilation, justement. Et autant te le dire tout de suite Billy, je ne sais par où commencer. Il y a tant à dire sur ce film de science-fiction porté par Natalie Portman que j’aurais pu (dû ?) lui consacrer la critique alphabétique de la lettre A. Le hasard a voulu que je ne le voie qu’après avoir critiqué Alien : Covenant, mais finalement ce n’est pas plus mal, car les deux œuvres ont bien plus en commun qu’on ne pourrait l’imaginer…

« Craignez ce qui est à l’intérieur »

ANNIHILATION

Réalisateur : Alex Garland

Acteurs principaux : Natalie Portman, Jennifer Jason Leigh

Date de sortie : 12 mars 2018 (Netflix)

Pays : États-Unis

Budget : 40-55 millions $

Box-office : 41,4 millions $ (Uniquement dans les cinémas, chiffres Netflix non dévoilés)

Durée : 1h55

Es-tu prêt à entrer ?

PAR DELÀ LE MIROITEMENT

Le film s’ouvre sur Natalie Portman assise au milieu d’une salle sombre aux baies vitrées, derrière lesquelles se tassent des tas de personnes en combinaisons de protection stérilisées. Face à elle, Benedict Wong – en combinaison lui aussi – a le regard incertain, et enchaîne des questions qui ne font pas de sens pour le spectateur. À toutes ces interrogations, une même réponse revient toujours…

« Je ne sais pas. »

Voilà. C’est tout. On ne sait pas où on est, on ne sait pas qui sont ces personnages, on ne sait pas ce qui se passe, on ne sait pas de quoi ils parlent. On ne sait rien. Aucune information n’est dévoilée, et pourtant Billy, tu viens d’assister à une des scènes d’exposition les plus intelligentes de l’histoire du 7ème Art. Alex Garland place la barre très haut dès le départ, et le reste du film non seulement ne redescend pas en dessous, mais continue de monter le niveau scène après scène.

Je ne te ferai pas l’affront de m’étendre sur la réalisation de Garland ou les performances des actrices principales, comme d’habitude c’est fantastique. Natalie Portman (Lena), Jennifer Jason Leigh (Dr. Ventress), Tessa Thompson (Josie, après avoir été Valkyrie dans Ragnarok) et Gina Rodriguez (Anya) sont toutes au sommet de leur art, la musique de Geoff Barrow et Ben Salisbury est envoûtante, et le travail sur la lumière et la cinématographie de Rob Hardy est absolument époustouflant.

Tout ça est bien gentil, mais de quoi parle le film ? En fait, je serais tenté de ne pas répondre à cette question Billy. Pourquoi ? Tout simplement parce que moi-même j’ai vu le film sans en savoir quoi que ce soit (mis à part qu’il y avait Natalie Portman dedans), et c’est extrêmement impressionnant d’arriver à un visionnage pareil sans aucune préparation. On se sent un peu comme Lena, on ne sait pas dans quoi on se lance. Mais bon, puisque cette critique est entamée, autant au moins dévoiler le synopsis. L’histoire se déroule dans une zone de quarantaine mystérieuse appelée « Le Miroitement » où cinq femmes (dont Lena), menées par le Dr. Ventress, sont envoyées en mission d’exploration. Là, elles découvrent que tout ce qui vit dans la zone, plantes et animaux, est complétement muté. S’ensuit alors un voyage au cœur du Miroitement et de l’esprit humain…

Donc, l’environnement est composé de mutations. Et quelles mutations ! C’est à elles que je fais référence dans le titre « Monstrueuse beauté » : des arbres mirifiques qui s’étendent jusqu’au ciel, des lichens arcs-en-ciel qui envahissent les murs des entrepôts abandonnés, ces espèces de cerfs végétaux croisés au détour d’un chemin, mais aussi un alligator albinos aux dents de requin et un cadavre… indescriptible. Dans Annihilation, la beauté et l’horreur s’entrelacent et brouillent les frontières (comme le Miroitement), et forment un complexe que Lena décrit comme « onirique », quand le personnage de Benedict Wong le qualifie de « cauchemardesque ».

Mais les mutations ne sont pas là que pour faire joli ; elles servent une métaphore globale du cancer et de l’autodestruction humaine. Comment ne pas penser à une tumeur quand on voit cet organisme – si tant est qu’on puisse le qualifier d’organisme – qui modifie l’environnement, les plantes, les animaux et même les exploratrices jusqu’au cœur de leur ADN même ? Le parallèle est appuyé tout au long du film et ressort de façon évidente. On nous montre à plusieurs reprises des cellules cancéreuses en duplication, les thèmes de l’autodestruction sont évoqués franchement, et chaque personnage a une facette douloureuse qu’il se voit obligé d’affronter sous telle ou telle forme au fur et à mesure de leur avancée au plus profond du Miroitement. Le thème d’Annihilation ne fait aucun doute. Néanmoins, les conclusions à en tirer sont beaucoup plus intéressantes, tout simplement parce qu’elles ne sont pas explicites. On comprend parfaitement quels sujets le film aborde, mais la morale de l’histoire reste totalement ouverte et dépendante du spectateur. C’est d’ailleurs là le génie d’Alex Garland : en nous emmenant à la suite de Lena par delà le Miroitement, il nous force à affronter nos propres démons. Il y a – peut-être – une réponse à notre autodestruction, Billy, mais elle n’est pas universelle et chacun verra dans Annihilation ce qu’il souhaitera y voir, pour le meilleur ou pour le pire.

Rêve…

LE PLUS GRAND HÉRITIER D’ALIEN

Alien a le monopole de la science-fiction d’épouvante depuis 1979. En presque 40 ans, pas un seul autre film n’est arrivé à la cheville de ce chef-d’œuvre, pas même ses 5 suites (5 !). Et voilà qu’en 2018, un petit film Netflix débarque de nulle part et renverse l’ordre établi ; car non seulement Annihilation est le plus grand héritier d’Alien à ce jour, mais c’est aussi son parfait contraire. La plus pure définition de l’oxymore. Je te rappelle en passant Billy qu’un oxymore est une figure de style qui associe deux idées totalement contraires (Merci Le Larousse 2018).

« Alors c’était alien. »

Quand le personnage de Benedict Wong déclare ceci à la fin du film, on a l’impression que ce n’est plus à Lena qu’il parle mais directement au spectateur comme un clin d’œil et une référence assumée.

Pourtant au premier abord, difficile de voir une quelconque correspondance entre les deux œuvres, car Annihilation paraît être l’antithèse parfaite du film de Ridley Scott. Le premier est ultra-coloré et saturé, le second est sombre et délavé. Annihilation est totalement organique, Alien se passe dans un vaisseau spatial artificiel. En 1979, l’organisme inconnu entrait dans notre environnement, maintenant nous entrons dans l’environnement de l’organisme inconnu. Alex Garland place son film sur Terre, Ridley Scott, dans l’espace. Et cætera, et cætera, la liste pourrait continuer jusqu’à la fin de cette critique si je le voulais. Que l’on regarde des captures d’écran du film ou qu’on lise le synopsis en entier, rien, mais alors absolument rien, ne laisse penser à un quelconque lien avec le chef d’œuvre de la science-fiction qu’est Alien.

Mais regardons-y de plus près, veux tu ? Déjà, on suit une équipe d’exploration dans un huis-clos angoissant – le huis-clos étant l’ensemble du Miroitement, qui certes est étendu, mais garde une unité d’espace, à l’instar du vaisseau Nostromo. De plus, le film met les femmes au premier plan, tout comme l’était Sigourney Weaver en 1979. Mais surtout, il ne faut pas oublier le côté épouvante d’Annihilation. Épouvante et pas vraiment horreur, puisqu’on joue ici beaucoup plus avec la terreur latente que les frayeurs véritables. Malgré la beauté du Miroitement et la magnificence des mutations, on n’est jamais vraiment à l’aise et le danger peut surgir de n’importe où, exactement comme dans Alien avec le xénomorphe guettant dans les couloirs sombres du vaisseau. D’ailleurs, les scènes où l’on découvre des nouvelles zones du Miroitement, comme la piscine (image ci-dessous) ou les alentours du phare, ne sont pas sans rappeler l’exploration du vaisseau alien et la découverte du Space Jockey. Une entité mystérieuse, impressionnante, dont l’origine semble inexplicable ; on ne sait pas d’où ça vient, ni ce que c’est, mais c’est là. Et pour sublimer le tout, Annihilation n’oublie pas non plus de créer des scènes absolument terrifiantes, notamment la séquence de l’ours mutant, que je ne décrirais pas plus pour ne pas gâcher la surprise au visionnage, mais en tous cas qui est un fantasmagorique trésor de réalisation, de rythme, de retournement de situation et d’horreur à t’envoyer un frisson le long du dos.

Le film d’Alex Garland s’inspire du plus grand, Alien, pour recréer une ambiance, un rythme et une tension inégalables. Annihilation est de la science-fiction intelligente, oui, mais de la science-fiction angoissante aussi.

La partie à suivre spoile allègrement la scène finale du film. Si tu ne l’as pas encore vu Billy, passe directement au Mot de la Fin et revient faire un tour après !

… ou cauchemar ?

ET LA LUMIÈRE NE FUT PLUS

Et puis il y a la scène finale.

« C’est la phase terminale. Volatilisé dans le chaos. Un esprit insondable… Maintenant, un flambeau. Puis une mer. Lena. On a parlé. Qu’a-t-on dit ? Que je devais savoir ce qui se trouvait à l’intérieur du phare. Mais ça m’est passé. C’est en moi maintenant. Ce n’est pas comme nous. C’est différent de nous. Je ne sais pas ce qu’il veut. Ou s’il veut tout court. Mais ça va se développer jusqu’à tout posséder. Corps et esprits seront fragmentés en tous petits morceaux jusqu’à leur disparition totale. Annihilation. »

Ce passage, que je nommerais « Le monologue de Ventress », et tout ce qui suit jusqu’à la fin du film (c’est à dire quand même encore près de 20 minutes) est absolument surréaliste. Si jusqu’ici l’épopée de l’équipe d’exploration à travers le Miroitement était relativement compréhensible et directe, les scènes finales passent dans une dimension supérieure et dépassent l’entendement. Et comme me l’a très justement fait remarquer l’ami avec qui j’ai vu le film (big up à toi Nils si tu me lis), la fin fait beaucoup penser à l’œuvre magistrale du génial Stanley Kubrick ; le phare d’Annihilation, c’est la chambre verte de 2001, l’odyssée de l’espace. Pas littéralement, bien sûr, mais c’est la même idée.

Il y a d’abord le lieu, incongru. Ce phare au milieu du Miroitement, entouré d’arbres en cristal. À l’extérieur, des ossements disposés en ordre, sans logique particulière. À l’intérieur, des espèces de racines qui courent sur (dans ?) la pierre du bâtiment, et une trace d’explosion. Tout se lie, végétal, minéral, animal, artificiel et organique, à l’épicentre du Miroitement. Et puis sous le phare, une espèce de cave aux parois alvéolées d’une matière indéfinissable et mouvante. Le cadre de la scène nous fait perdre tous nos repères humains.

Il y a ensuite les deux révélations. En premier lieu Kane, le mari de Lena, joué par le brillant Oscar Isaac, qui filme son suicide dans le phare, parlant – croit-on – à la caméra. Il déclenche une grenade au phosphore et brûle vif, alors qu’on découvre qu’il y avait un homme derrière la caméra – un homme qui n’est autre que… Kane.

En second lieu, le monologue de Ventress, déclaré par le docteur Ventress assise au sol de la cave du phare. Elle semble « ailleurs », et son visage ne comporte plus d’yeux. Et que dire de ses paroles ? Le discours est poétique et délié. On comprend bien de quoi elle parle, puisque la phase terminale et la propagation destructrice font évidemment référence au cancer, mais on ne comprend pas ce qu’elle veut dire. On se retrouve exactement dans le même état que pendant la séquence d’introduction : on ne sait pas où on est, on ne sait pas ce qui se passe, on ne sait pas de quoi elle parle et on en vient même à ne plus savoir qui sont réellement les personnages. Tout ce que nous avions cru construire pendant les pérégrinations de Lena à travers le Miroitement se retrouve démoli en quelques instants. On ne sait plus rien.

Et alors là, Ventress explose en milliers de petits fragments lumineux, semblables à des cellules qui se divisent, et formant comme un planétaire – mutant, bien sûr. Puis tous les fragments se réunissent pour donner corps à… ça. Dans 2001, Stanley Kubrick avait défini ce qui s’éloignait le plus de l’esprit humain comme un étrange monolithe noir. Dans Annihilation, c’est le mandelbulb : une figure géométrique fractale en quatre dimensions (les trois dimensions physiques plus une dimension de temps pour les ondulations) que je ne serais pas capable d’expliquer, et qui est probablement, visuellement, le plus près que l’on puisse s’approcher des limites de la compréhension humaine. L’organisme est indéfinissable, et s’éloigne totalement de n’importe quel repère que l’on pourrait avoir. Est-ce alien ? Est-ce mutant ? Est-ce, tout court ? Nul doute que Kubrick aurait applaudi ce monolithe 2.0.

S’ensuit la naissance d’une forme humanoïde qui imite chaque fait et geste de Lena, tout en l’empêchant de s’enfuir. On assiste alors à une danse muette, pendant 5, peut-être 10 minutes ? Même les repères temporels sont réduits à néant. Le ballet entre Natalie Portman et son reflet est tout simplement ahurissant et impossible de ne pas rester bouche bée face à cela. Aucun mot n’est échangé, mais aucun mot n’est nécessaire. Comme la rencontre de Dave et du monolithe, ça arrive, c’est tout. Ce qui se passe exactement ou ce que cela signifie, c’est une toute autre question.

Grenade phosphorique. Incendie. Annihilation. Lena tue son double et par la même occasion, le Miroitement tout entier. Comment interpréter cette scène ? A-t-elle vaincu ses démons ? A-t-elle surpassé son autodestruction, le deuil qui la ronge depuis la disparition de Kane ? Rien n’est moins sûr. Car à la fin, elle est réunie avec Kane (ou le pseudo-Kane de la vidéo), et l’on voit ses pupilles miroiter. Ou, les voit-on réellement, Billy ? Car plus tôt dans le film, on nous montre un soldat dont les intestins semblent se mouvoir d’eux-mêmes, ce à quoi le personnage d’Anya réagit avec déni en affirmant que ce n’est qu’un effet de lumière. Et si c’était la même chose ici ? Et si le miroitement des pupilles n’était qu’un effet de lumière ?

La séquence finale toute entière est comme une boîte à questions dont les réponses sont scellées par une serrure dont seul Alex Garland a la clé. Mais c’est à nous de tenter de la crocheter pour trouver nos propres réponses, car comme Kubrick avant lui avec 2001, il est probable que la clé d’Annihilation suive Garland jusque dans sa tombe…

Une image vaut mille mots.

LE MOT DE LA FIN

Wow. Tel Jerry R. Ehman découvrant le signal éponyme, c’est tout ce que j’ai pu réussir à dire à la fin du visionnage d’Annihilation. Il y a clairement un avant et un après. On n’en sait pas plus à la fin qu’au début, mais entre les deux le film nous emmène dans les méandres de la vie et de la psyché humaine entre magnificence et pure terreur. Définitivement le plus grand héritier d’Alien et de 2001 à ce jour.

Note : 8,75 / 10

« LENA – Je ne sais pas… »

C’est fini, Natalie… C’est fini.

— Arthur

Tous les gifs et images utilisés dans cet article appartiennent à Netflix, et c’est très bien comme ça