Quand James et Alyssa deviennent des criminels en fuite, on s’attend à entendre du Serge Gainsbourg à chaque tournant…
Bonnie and Clyde… Bonnie and Clyde… ♪♫ Ah, Gainsbourg. Mais je m’égare Billy, car on n’est pas au 4ème Café ici, mais bien au 7ème ! Je te sers un shot ? Aujourd’hui on parle de la série The End of the F***ing World (« La Fin du P**ain de Monde » en VF), une des autres pépites Netflix de ce début d’année 2018 avec Mute et Annihilation.
#LaJoieDeVivreTHE END OF THE F***ING WORLD
Créatrice : Charlie Covell
Acteurs principaux : Alex Lawther, Jessica Barden
Diffusion : 5 janvier 2018 (Netflix)
Pays : Royaume-Uni
Saisons : 1
Épisodes : 8
Durée par épisode : Entre 19 et 22 minutes
Le phlegme britannique, à toute épreuve !VOYAGE INTEMPOREL
« Je m’appelle James. J’ai 17 ans. Et je suis à peu près sûr d’être un psychopathe. »
Ce sont les premiers mots du premier épisode de la série. Est ce que j’ai vraiment besoin d’en dire plus ? En seulement 8 secondes (8 p**ain de secondes !), Charlie Covell vient de nous exposer le principe de la série toute entière. On nous présente un des deux personnages principaux, on sait déjà tout de lui en une seule réplique, et c’est brillant – mais j’y reviendrai. On découvre aussi l’ambiance de The End of the F***ing World avec son humour noir, borderline sordide, et son ton en constant décalage. En effet quoi de plus décalé qu’un adolescent de 17 ans qui est un psychopathe, et en plus le dit lui-même ?
C’est d’ailleurs là toute la prémisse du scénario de cette série déjantée. James (Alex Lawther) est un adolescent psychopathe, qui déteste tout le monde parce que les gens sont des abrutis et qui n’a tué jusqu’ici que des petits animaux dont il collectionne les cadavres. Bon. Mais James aimerait bien viser un peu plus haut, et enfin tuer un véritable être humain. Ah oui quand même. C’est à peu près à ce moment là qu’on commence à se demander ce qu’on est en train de regarder, mais rassure-toi Billy, c’est bien plus subtil que ça en a l’air ! James fait alors la rencontre d’Alyssa (Jessica Barden), une fille de son lycée, complètement en rébellion contre tout et tout le monde (on notera par exemple dans son palmarès, jeter de téléphone portable et insulte gratuite de serveuse dans un café). Forcément, c’est la cible idéale pour un meurtre, et quoi de mieux pour se rapprocher d’elle que de sortir avec ? Donc James et Alyssa se mettent en couple, et vont lancer une histoire incroyable qui va les mener à s’enfuir de chez eux et partir sur les routes d’Angleterre en roue libre…
The End of the F***ing World est défini par une réalisation aiguisée d’une part et un style de comédie dramatique unique en son genre d’autre part. Un genre d’enfant caché entre le travail visuel de Wes Anderson et ce que feu Jean Rochefort décrivait chez Quentin Tarantino comme la « funny violence ». Je m’explique. Jonathan Entwistle et Lucy Tcherniak ont un jeu de caméra très reconnaissable sur cette série, avec beaucoup de plans fixes, au centre desquels restent les personnages. On a l’impression de regarder une série de photos plutôt qu’une œuvre audiovisuelle en fait, et c’est tout à fait réminiscent de ce que fait Anderson, qui adore ce genre de plan, et joue aussi d’ailleurs sur le format visuel utilisé (dans The Grand Budapest Hotel notamment), en rétrécissant le cadre lors des flashbacks et utilisant la totalité de l’écran rectangulaire quand on est dans le temps présent – une technique réutilisée ici à l’identique par Entwistle et Tcherniak. Il y a également ce contraste permanent entre les sujets abordés et la façon dont ils sont présentés. Qu’on s’entende bien, The End of the F***ing World parle de psychopathie, de meurtre, de viol, de crime, d’abandon familial, de drogue aussi… Liste non exhaustive, bien évidemment. Et pourtant, si au cours des deux premiers épisodes certains aspects peuvent paraître vraiment dérangeants et nous mettre mal à l’aise, on s’attache très vite et on finit par rire à gorge déployée de voir un des personnages couvert de sang de la tête aux pieds – la fameuse funny violence de Tarantino.
Mais une des caractéristiques les plus intéressantes de The End of the F***ing World, c’est son intemporalité. De par les jeux de lumière et la cinématographie de la série, les épisodes prennent un aspect délavé qui rappelle les vieux films en ton sépia. Cependant, on trouve aussi des technologies modernes comme les téléphones ou la télévision écran plat et les caméras de sécurité dans les magasins. Néanmoins, les costumes paraissent vieillots (et surtout cette indescriptible chemise hawaïenne que James porte pour la deuxième moitié de la série), donc on nous ramène encore dans l’imagerie vintage. Oui mais les décors sont modernes, notamment l’agencement intérieur ou la maison dans laquelle vont se cacher provisoirement James et Alyssa. En réalité, on a un renvoi constant de balles entre différentes époques, et tout objet ou accessoire peut paraître anachronique par rapport à un autre. Et anachronique par rapport à quand, d’ailleurs ? La date n’est jamais précisée, et la série pourrait tout aussi bien se passer dans les années 1980 que maintenant. Ce grand écart périodique est également reflété dans la fantastique bande son de la série, qui mêle des chansons de toutes époques et tous styles, avec entre autres « Funnel of Love » de Wanda Jackson (1961), « Superboy Supergirl » de Tullycraft (1996) ou même « Voilà » de notre Françoise Hardy nationale (1967). Il y a aussi l’excellent « Crying on the outside » de Bernadette Carroll (2017). Je t’invite d’ailleurs à aller écouter la totalité de la bande originale juste ici, Billy :
Mais donc, comme je le disais en introduction, dans ce contexte intemporel et avec le thème de la série, difficile de ne pas penser à chaque instant à la grande chanson de Serge Gainsbourg (et Brigitte Bardot) parue en 1968 suite à la sortie du film éponyme : « Bonnie and Clyde ». Pour peu qu’on ait entendu cette chanson une fois, la série nous la rappellera forcément, et je me demande encore pourquoi Charlie Covell ne l’a pas incluse. Trop mainstream, peut-être ? En effet, tout le monde connaît l’histoire de Bonnie et Clyde, et la fugue de James et Alyssa fait immédiatement penser aux deux criminels morts en 1934. Mais plus que ça, The End of the F***ing World pourrait être la réincarnation télévisuelle de Gainsbourg : avec ce décalage permanent, cet humour pince-sans-rire et sa rébellion frivole, comment ne pas se représenter Gainsbourg, sa démarche alcoolisée, sa clope au bec et le phrasé marmonnant mais grandiose tout de même ? C’est un mélange détonnant, mais ça fonctionne, comme dans ce live incroyable de 1985 :
Et est-ce que je viens de me servir d’une critique pour placer une chanson que j’adore alors qu’elle n’est même pas dans la série ? Absolument, Billy.
Alyssa, où sont tes vêtements ?TOUJOURS PAR DEUX ILS VONT
Néanmoins, comment évoquer The End of the F***ing World sans parler de ses géniaux personnages ? Parce qu’il faut bien se dire une chose : cette série arrive à nous faire aimer des jeunes qui, à la base, n’ont absolument rien d’aimable. Un psychopathe totalement dépourvu d’émotions d’un côté, une rebelle insupportable à qui on foutrait des claques de l’autre. Et pourtant. Le principal attrait de cette œuvre Netflix est son évolution. On commence en étant dérangé, et avec une impossibilité totale de s’identifier aux personnages (Ou alors dans le cas contraire je te conseille d’aller voir un psychiatre Billy), et on finit par s’attacher profondément à eux, au fur et à mesure qu’ils deviennent humains. Plus ou moins. Qui donc peut résister à cette scène de danse délirante au milieu de la saison – montrée dans le gif ci-dessous ?
Et évidemment, tout repose sur les excellentissimes acteurs et actrices de la série, Alex Lawther et Jessica Barden en tête. Lawther a à peine 22 ans (c’est toujours 5 de plus que moi, mais tout de même), et déjà sa filmographie est époustouflante, avec entre autres : le jeune Alan Turing dans Imitation Game pour lequel il a remporté un prix, un rôle émouvant dans le peu connu Departure, et une performance incroyable dans la série Black Mirror dont nous parlerons le mois prochain. Et il a bien plus d’une corde à son arc, preuve en est The End of the F***ing World : le personnage de James commence totalement apathique (et antipathique), le visage livide, la bouche à l’envers (même quand sa petite copine l’embrasse, c’est dire), et Lawther joue l’apparition progressive des émotions de James avec une justesse inégalable. Quant à Jessica Barden, 25 ans, elle s’est faite moins remarquer que son camarade, malgré des apparitions notables dans Penny Dreadful et The Lobster. Et elle n’a rien à envier à Lawther, car le personnage d’Alyssa est lui aussi plein de nuances subtiles rendues à la perfection par Barden. Je ne peux que leur incliner mon chapeau.
Ce casting cinq étoiles est complété par toute une clique de personnages secondaires tous plus délirants les uns que les autres, mais interprétés avec tout autant de talent que notre duo principal. Nonobstant, nous avons vu avec Mute qu’il ne suffit pas de bons personnages pour qu’ils aient des bonnes relations. Mais The End of the F***ing World n’a pas ce problème, et le surmonte même avec brio ! L’alchimie entre tous les acteurs et actrices est tout simplement démentielle – et surtout réaliste. Les personnages en ressortent même encore plus intéressants, car pour la plupart ils fonctionnent par paire. Comme le dit si bien Maître Yoda dans la saga Star Wars :
« Toujours par deux, ils vont. Le maître et son apprenti. »
Ou plutôt dans notre cas : toujours par deux ils vont, le maître et son abruti. Non pas que dans chacun des duos, à chaque fois un des personnages est un idiot fini (encore que), mais simplement que sur les deux, on en a un plus sérieux et un plus décalé. Pour James et Alyssa, les rôles s’inversent régulièrement mais ce schéma se retrouve toujours. Après, on a les deux policières Eunice (Gemma Whelan) et Teri (Wunmi Mosaku), la première étant un des comic-reliefs majeurs de la série, puis d’autres duos comme le père de James et sa mère décédée, la mère d’Alyssa et son nouveau mari, la gérante de la station service et son fils Frodon… Cette dynamique est très intéressante car chaque personnage complète son partenaire et les relations en sont d’autant plus fusionnelles – et délirantes. D’ailleurs, ce sont bien les quelques rares personnages qui n’ont pas de duo qui sont les plus discordants et qui sortent de la masse : Clive Koch (Jonathan Aris) et le père biologique d’Alyssa (Barry Ward).
C’est l’évolution des personnages et les faces-à-faces constants entre tous ces duos qui font de The End of the F***ing World un joyeux délire tout aussi intelligent que divertissant.
La dernière partie de cette critique évoque la résolution de l’intrigue principale et le dernier épisode de la série. Pour éviter les spoilers, je te conseille de passer de suite au Mot de la Fin.
Je danse comme ça aussi.BANG
L’épisode 3 est la pierre angulaire de la série, et The End of the F***ing World prend un énorme virage à partir de ce moment-là. Pendant les deux premiers épisodes, la tension ne cesse de monter au fur et à mesure qu’on nous rabâche que James va tuer Alyssa. Mais à chaque fois, il s’arrête au dernier moment… Le suspense autour du meurtre que va, ou pas, perpétrer James est constant. Et là, à la fin de l’épisode 3, il plante Clive Koch, un violeur-tueur-en-série (clairement pas la meilleure combinaison possible) qui menaçait Alyssa. C’est une assez grosse surprise, parce qu’avec 8 épisodes en tout, difficile d’imaginer que le meurtre qu’on nous vante depuis le début serait effectivement accompli dès le 3ème épisode. Tout change à partir de là, premièrement parce qu’en tuant Koch pour sauver Alyssa, James montre clairement qu’il commence à ressentir des sentiments humains, deuxièmement parce qu’il se rend compte que tuer quelqu’un, c’est pas si excitant que ça. On assiste à un retournement de situation total puisque qu’au début, la série escalade et évolue vers l’assassinat, alors qu’après cet épisode 3, les deux adolescents vont tout faire pour s’éloigner de leur crime et le repousser dans le passé.
La série escalade véritablement jusqu’au dernier épisode dans un crescendo implacable qui va emmener tous les personnages dans son sillage. Plus James et Alyssa tentent de fuir le meurtre, plus ils s’enfoncent dans la mouise jusqu’au cou, mais continuent d’aller de l’avant malgré tout, un peu comme cette chanson des All American Rejects qui dit :
« When everything is wrong, we move along. »
Et oui, encore un placement musical totalement injustifié, Billy ! Bref, braquage, vol, dissimulation de preuves… La liste des méfaits des deux fuyards ne cesse de s’allonger. Et l’échéance approche ; car comment pourraient-ils échapper à la police ? Ils n’ont que 17 ans, après tout. Il était donc évident qu’ils allaient être rattrapés, comme Bonnie et Clyde en leur temps, mais quand le final de The End of the F***ing World arrive enfin, toute la tension et l’appréhension accumulées éclatent d’un coup, et c’est grandiose.
Bang.
Voilà comment débute et se termine le 8ème épisode, et avec lui la série entière. Un coup de feu sur un écran noir. Mais quel coup de feu, Billy ! Le final est tout simplement la culmination de tout ce qui a été construit pendant les épisodes précédents. Quand Alyssa file un coup dans la tête de la policière Eunice, puis quand James assomme Alyssa de la même façon, ce n’est pas sans rappeler le tout premier épisode où il met un poing au visage de son père. On éprouve un mélange de désapprobation face à cette violence gratuite et de satisfaction coupable à voir tout le monde se prendre des pains. Et sur ce, James part en courant sur la plage. Coup de feu. Écran noir. Le spectateur est laissé le cœur palpitant à toute allure et la mâchoire grande ouverte.
James est-il mort ? Réussit-il à s’enfuir ? J’ai envie de dire, peu importe, et je ne veux surtout pas le savoir. La grandeur du final repose énormément sur ce cliffhanger dantesque, encore plus que dans le comics dont The End of the F***ing World est adapté. Oui, parce que c’est une adaptation, Billy. Dans le final du comics, James se bat avec une officière de police, et de la même façon, on entend un coup de feu sans en voir la répercussion. Cependant, le comics ne s’arrête pas là. Après ça, on voit la mère d’Alyssa déclarer que sa fille est enfin en sécurité loin de James, et Alyssa s’entaille le bras pour y graver « JAMES ». La fin est toute aussi ambigüe que celle de la série, mais est très différente dans ses conséquences. Pourquoi ? Parce qu’on voit la suite du coup de feu. On ne sait toujours pas si James a survécu, mais les scènes suivantes font redescendre la tension. Alors que dans la série, on s’arrête au paroxysme du suspense. L’escalade est continue, et quand on arrive à peine au sommet, à l’apogée de cette dernière, bang, c’est fini. Comme si on avait retenu notre respiration pendant 20 minutes et qu’on reprenait tout à coup une bouffée d’air.
Et pour cette raison-même, j’espère sincèrement que The End of the F***ing World n’aura pas de saison 2. Pas parce que la série est mauvaise, je pense que j’ai été assez clair dans cette critique sur le fait qu’elle est excellente, mais parce que si Charlie Covell décide de faire une suite, alors tout l’impact de ce final sera démoli à postériori, comme pour Avengers : Infinity War. Et ça, ce serait vraiment dommage.
Cours, Forrest !LE MOT DE LA FIN
Les deux premiers épisodes de The End of the F***ing World peuvent être difficiles à regarder à cause de leur dérangement profond. Mais une fois qu’on entre dans cet univers, la série devient une dramédie palpitante et hilarante à mi-chemin entre un road-trip adolescent et un grand délire des frères Coen, le tout sur une bande originale absolument parfaite. ♪ Bonnie and Clyde… Bonnie and Clyde… ♫
Note : 8 / 10
Donnez un Emmy à cet homme !« JAMES et ALYSSA – Fuck. »
— Arthur