Sandro Veronesi interroge dans Chaos calme les capacités de résilience d’un homme faisant le deuil de sa femme. Cet homme va réorganiser sa vie autour de sa fille. Au premier jour de la rentrée, il reste à l’attendre devant son école. Les jours suivants aussi. Il finit par s’incruster dans le paysage.
Il mène sa vie professionnelle depuis sa voiture – il est quelque chose comme directeur d’une chaîne de télévision italienne appartenant à un grand groupe français, lui-même sur le point de fusionner avec son alter ego d’outre-Atlantique – et cela déclenche un mouvement centripète de moult personnages, des collègues paniqués par la fusion imminente, une belle-sœur névrosée, un frère célèbre modiste mais aussi fumeur d’opium… la liste est longue et riche en personnages tourmentés. Face au calme du veuf, face à l’incompréhensible calme du veuf, ils vont tous le voir pour déverser leur saleté – comme dirait l’autre – et épancher leur souffrance.Tout le monde souffre dans ce livre, sauf le narrateur endeuillé. Cette absence de réaction mélodramatique inquiète (et même énerve) ses proches : puisque la réalité contredit leur cliché du deuil, il faut ramener le veuf à la raison (à la réalité) pour qu’il s’y conforme et se prête un peu au jeu social que tout le monde est prêt à jouer – condoléances appuyées, services proposés, compassion affichée, etc.
Autour d’une relation père-fille subtilement travaillée, Sandro Veronesi renvoie notre société à ses propres contradictions face à la mort (négation de la finitude de la vie humaine contre obligation sociale de payer un tribut au pathos mortuaire). D’une écriture enlevée, parfois un peu bavarde, Sandro Veronesi raconte la vie de cet homme qui n’est pas sans défauts (c’est sa qualité en tant que personnage romanesque) et l’amène au cours d’un final félinien à percer sa bulle de calme chaos pour redescendre sur Terre.
Un très beau roman, prix Strega 2006, porté à l’écran en 2008 avec Nanni Moretti dans le rôle principal.
- Chaos calme, de Sandro Veronesi, Grasset, 21,90 €.