« Erraient, troupeaux serrés, le long
des monts conduits
A contrecœur lentement par le vent,
leur berger… »
D’autres fois c’est un roman en trois tomes qui s’offre à notre méditation dans une strophe de Hardy ou une phrase de La Bruyère. Nous nous plongeons dans les Lettres de Charles Lamb – il faut lire certains prosateurs comme s’il s’agissait de poètes – et tombons sur : « Je suis un sanguinaire meurtrier du temps, et je voudrais le tuer peu à peu sans tarder. Mais ce serpent est vital. », et qui dira jamais le pourquoi de notre ravissement ? ; ou bien nous ouvrons Rimbaud sur :
« O saisons, ô châteaux !
Quelle âme est sans défauts ? »
et qui démontrera jamais ce qui nous charme ? Lorsque nous sommes malades, les mots semblent doués d'une qualité mystique. Notre compréhension excède la signification littérale, elle saisit d’instinct ceci, cela et le reste - un son, une couleur, ici un accent, là une pause – dont le poète, sachant combien les mots sont chiches par rapport aux idées, a parsemé sa page, afin d’évoquer, une fois associés, un état d’esprit que le langage est impropre à rendre et la raison inapte à expliquer. L’incompréhensible affecte puissamment ceux qui sont souffrants, un phénomène dont les gens d’aplomb ont, peut-être à tort, du mal à admettre le bien-fondé. Lorsque nous sommes en bonne santé la signification l’emporte sur le son. L’intelligence agit en maitre vis à vis des sens. Mais, dès que nous déclinons, avec la police congédiée, nous nous approchons subrepticement d’un poème obscur de Mallarmé ou de Donne (…)
Virginia Woolf, De la maladie, traduction Élise Argaud, Ed. Rivages, 2018, 80 p., 5,50€
Texte proposé par Geneviève Peigné