Chaque mois, dans les 10 premiers jours, comme je le fais pour la littérature (dans les 10 derniers) et pour la musique (vers le milieu) je vous livre un avant-goût d'un film qui m'a marqué.
Par son style, sa facture visuelle, ses interprètes, sa réalisation, ses choix, choix esthétiques, musicaux, originaux, de mise en scène; je vous en parle parce qu'il m'a séduit par tous les sens.
Je vous parle d'un film qui m'a habité longtemps. M'habite encore souvent.
Celui-là, je l'ai vu trois fois. Une quatrième fois vendredi dernier.
Je le revis encore.
En passant au défunt club vidéo au coin de ma rue, il y avait eu à l'époque une vente de films et je l'avais trouvé à 3,99$. Je l'avais acheté sans jamais en avoir entendu parler. Sur la seule foi qu'il avait été réalisé par Paolo Sorrentino, qui avait aussi réalisé Il Divo, un film qui m'avait renversé d'adresse, d'intérêt et de talent. Avec le même comédien. Toni Servillo.
À 4$, le risque était faible. Pari gagné.
LA GRANDE BELLEZZA de PAOLO SORRENTINO
L'histoire est simple. Jep est écrivain. Enfin peut-être FÛT écrivain puisque son seul et unique livre a plus de 40 ans et depuis, il vit la Dolce Vita, à Rome, comme journaliste, à la recherche de sens dans les fêtes mondaines, à la recherche d'amour dans les vains cocktails, dans un Rome superbe, baigné de sexe, d'esthétisme, de souvenirs, de nostalgie, de mort et de religion.
Il s'agit d'un film existentialiste, n'y chercher pas une tonne d'action. Il s'y trouve du verbe. De la musique aussi. Toujours à point. Si à point que j'en ai aussi acheté la trame sonore.
L'une des inspirations de Sorrentino a été de tourner un film sur rien, se basant sur la citation de Flaubert que Madame Bovary avait été un roman sur rien. Par rapport au "rien" il suggérait de tourner un film sur les rumeurs et les ragots, le milliers de manières de perdre du temps, des irritants et des délices de la vie courante qui sont de si courte durée qu'on ne peut que se questionner sur la valeur de vie. Ce "rien" meuble parfois l'entièreté de la vie de certains.
Ce mot apparaît sur la page de mon blogue.
Et je le trouve toujours gracieux. Une opposition au "tout". Parfois si touffu qu'on s'en perd dans les poils.
Le film de 183 minutes, qui jamais ne parait long si vous vous laissez bercer par la direction des eaux choisie, a failli s'appeler L'Apparato Umano (L'appareil humain), qui est aussi le nom de l'unique roman du livre culte de Jep.
Le surréalisme y pointe aussi sa tête, Jep y va de la réplique ""Qui suis-je?", il y a un roman qui commence ainsi". Il fait alors référence à Nadja d'André Breton, maître du surréalisme. Toute la séquence entre Jep et Ramona emprunte beaucoup de cette nouvelle.
Durant la scène du conclave, c'est Francesco Rosi, un ami de Paolo Sorrentino, qui la dirige puisque Sorrentino y fait un cameo.
L'arrestation du voisin de Jep, Moneta, un homme travaillant pour une organisation faisant fonctionner l'État, a été nommé Moneta parce que c'est un autre mot italien pour parler de l'argent. Cette référence est clairement équivoque. Denaro, au autre mot pour parler d'argent, mais qui est aussi le nom de Matteo Mesina Denaro, affreux jojo de la Cosa Nostra, est en fuite depuis 1993 et recherché partout dans le monde depuis 2010. Parmi les 10 plus recherché au monde.
Le personnage de Talia Concept est clairement une référence à Marina Abramovic, OVNI artistique.
Une autre évocation claire, au visionnement du film, est l'esthétique de Federico Fellini.
Dans la mise-en-scène, certains choix narratifs qui rappellent clairement une Dolce Vita 2.0. ou un 8 1/2 moderne. Fan fini des deux films, je ne pouvais qu'y trouver mon compte.
L'une des vraie vedette du film est la cinématographie. Luca Bigazzi y fait du travail de magicien. Les décors et la direction artistique de Stefania Cella est aussi formidable.
Sorrentino a un animalier tout à fait personnel de film en film qui donne toujours une scène féérique qui nous garde dans la fantaisie visuelle fort agréable. Un chat dans Il Divo. Du bison dans This Must Be The Place. Avant cette girafe dans La Grande Bellezza. Et des flamands.
Comme si la grande beauté devait parfois passer par les animaux pour se rendre à nous.
Paolo a presque mon âge. Deux ans de plus. L'âge de mon amoureuse. On se branche sur bien des choses en commun.
Comme porteurs de mêmes références et de mêmes quêtes.
Io amo, Paolo.
Je vais peut-être me taper The Young oPope, signé de sa main.
Si je le trouve quelque part.
On trouve toujours la beauté quelque part.
Son directeur photo le sait.