Bernard Dumerchez, une vie de livres et d’art
Musée Départementale de l’Oise, Beauvais
Le MUDO accueille jusqu’au 21 octobre l’exposition « Bernard Dumerchez, une vie de livres et d’art ». Editeur, Bernard Dumerchez développe des collections de livres rares où dialoguent artistes et poètes.
L’entrée donne le ton de l’exposition, on s’y promènera dans un monde de signes et de sens, de couleurs et de formes. On est accueilli par une symphonie de peintres et de poètes contemporains qui ont jalonné le parcours de Bernard Dumerchez. A chacun, il a commandé, sur format A4, un texte, une œuvre originale, une alliance des deux. De grands panneaux ordonnant l’ensemble font œuvre en soi. Bernard Noël y côtoie Roland Topor, Hubert Haddad voisine avec Fernando Arrabal, Antonio Segui répond à Werner Lambersy… Les plus grands noms de la poésie et de la peinture contemporaines sont réunis là.
On passerait des heures à cheminer de ligne en ligne, de l’univers de Jérôme Mesnager à celui de Serge Kantorowicz, des calligrammes de Marie Binet aux poèmes en spirales de Serge Pey. Mais on est à peine dans l’antichambre qui reçoit la lumière du printemps, sous le regard de Rimbaud, une photo du poète à Harar. Mais l’espace s’élargit, Rimbaud sort du cadre, le paysage s’invente dans les traits de peinture de Joël Leick. Ce portrait de Rimbaud, un extrait parmi d’autres d’une œuvre inouïe, une vision de l’éditeur : à partir du texte d’Alain Sancerni, Rimbaud selon Harar, il a provoqué un livre d’artiste d’une densité telle qu’elle touche l’intensité rimbaldienne. On y entre sur la pointe du souffle. Cinquante pages au moins, chacune est une œuvre et chaque exemplaire unique.
On quitte la lumière du jour pour un espace plus fermé, offrant un tête-à-tête avec Velickovic dont l’œuvre transcende l’horreur. En échos aux tableaux, un dessin de l’artiste en regard d’un court poème sur la page ouverte d’un livre rare Visages de l’exil dont on peut lire d’autres extraits en lettres blanches sur le mur pourpre. Car la scénographie époustouflante, conçue par Philippe Coquelet, délivre, plus qu’une exposition, une expérience sensorielle au plus proche de la démarche de création : de l’espace du dedans, pousser les limites, faire advenir des formes inédites.
Pour un tel rendez-vous autour des Editions Dumerchez, Philippe Coquelet était l’homme de la situation, lui qui conçut des expositions magistrales, dans ses centres d’art, l’Échelle, près de Charleville, puis dans celui de Montolieu, lui qui réunit dans ses Editions Rencontres, artistes et poètes. En complicité avec Bernard Dumerchez depuis trente ans, ils stimulent les rencontres artistiques, ouvrent des espaces à la poésie dans ses rapports avec les arts plastiques. L’un comme l’autre sont d’une exigence sans faille, écartant les mièvreries, obligeant les artistes à sortir de leurs rails.
On se promène dans cette exposition comme dans une forêt au printemps, traversée des odeurs des acacias et des tilleuls, des oiseaux en conférences et de cèdres parasols. C’est ainsi qu’on passera plus tard de tableaux de Gérard Titus-Carmel à des encres originales de l’artiste accompagnant ses propres textes, plus loin à des peintures de Claude Viallat dont on retrouve le motif sur un livre de Dominique Sampiéro Bouches cousues qui sonde le silence.
De la pénombre d’un corridor où l’on retrouve Rimbaud, on dévale sur de grandes salles, l’une faisant dialoguer les bols sensuels d’Aliska Lahussen, avec une forme semblant sortir de sa gangue, de Takesada Matsutani. Une autre salle où l’on retrouve le mouvement de Street Art, courant majeur du 21è siècle. Miss.tic, Jeff Aerosol, ont offert pour le temps de l’exposition, des œuvres uniques. Sur des panneaux en bois, comme au coin d’une rue, on reconnait le pochoir de Jeff Aerosol reproduisant le visage de Bob Dylan. Aux murs, on suit la trace des hommes en blancs de Jérôme Mesnager dansant avec le vide.
A chaque extrémité de la salle, la collection complète, elle fait œuvre en soi, des Léporellos commandés par Bernard Dumerchez à quantité de poètes et de peintres, certains écrits à la main, d’autres en sérigraphie, et toujours le texte serpente ou se devine, dans les courbes, les vides et les jaillissements d’œuvres de Jacques Villéglé, Erro, Yvon Taillandier, Mark Brusse…
On aura traversé aussi un petit bois suspendu des bâtons poèmes de Serge Pey, tout près de l’Enfer, peuplé des mondes d’Elizabeth Prouvost, de Jonathan Abbou... L’une délivre de sublimes échos en photographie de l’Érotisme de Georges Bataille, l’autre ouvre sur le sexuel dans une lumière crue.
Courbet avec l’Origine du monde provoqua la foudre, Egon Schiele créa le scandale et fit sécession avec le monde des arts de la Vienne fin de siècle, l’œuvre de Bellmer est qualifiée d’art dégénéré par les nazis.
On a cru, après les horreurs du 20ème siècle, après la libération des années 60, qu’on avait dépassé la censure. Devant la crudité et la pornographie ambiante de certains panneaux publicitaires ou de films sans temporisation aucune, on croyait qu’on pouvait dire autrement ce qui, de la chair et de la sexualité, dépasse l’entendement. Il n’en est rien. L’Enfer de cette sublime exposition Bernard Dumerchez, fut l’objet, dès l’ouverture, d’une polémique, de regards outrés, de propos venimeux. L’Enfer au MUDO est interdit au moins de 18 ans, c’est écrit en toutes lettres sur le seuil de la pièce. A la lecture de la première observation sur le Livre d’Or, il est clair que certains adultes n’auraient pas dû passer la porte.
Cela, cette très généreuse exposition le dépasse. Elle est déjà engagée sur de nouveaux chemins. Après la performance remarquable de Jeff Aerosol et du poète Dominique Sampiéro le 19 mai, rendez-vous le 21 juin pour une rencontre avec Charlotte Rampling à l’occasion d’un livre qui sortira ce même jour et qui inaugure une nouvelle collection des Editions Dumerchez : un poème original commandé à un auteur, ici Charlotte Rampling, en regard d’une œuvre plastique, ici une photo d’Elizabeth Prouvost.
Bref, on sort de Beauvais ébloui et pensif : on est passé d’îles en mots, de paroles en visages, de confidences en infinis.
Catherine Zittoun
MUDO/ ouvert de 11h à 18h sauf mardi et jours fériés
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En train , gare SNCF à ¼ d’heure à pied du musée