Voici la liste:
1) Devrions-nous donner des droits aux animaux non-humains? Le commentaire: c'est compliqué, il y a différentes sortes de droits et ils ont une pertinence variable pour différentes espèces. Quels droits pour quels animaux?
2) Devrions-nous éditer le génôme de nos enfants? Si nous parvenions à le faire sans effets secondaires directs, il serait sans doute acceptable de le faire pour leur épargner des maladies sévères que nous traiterions sans hésiter après leur naissance. Dès que l'on va plus loin, dès que l'on s'éloigne de la thérapie pour aller vers des modifications qui s'apparentent davantage à de l'amélioration, cela devient nettement plus difficile. Par exemple, éditer le génome pourrait conduire à la disparition de certaines manières d'être humain. Un enjeu qui revient dans la question suivante:
3) Devrions-nous rendre tout le monde "normal"? Être conforme pourrait-être plus sûr, pour soi-même et pour les autres. Et nous avons des moyens de plus en plus puissants pour nous rendre plus conformes aux autres. Tentant? Non? Effectivement, cette perspective a aussi un côté terrifiant. Sur le plan individuel c'est clair. Et sur le plan collectif, en fait aussi: il n'est pas sûr que la conformité soit si bonne que ça pour nos groupes non plus. Une conférence intéressante à ce sujet, d'ailleurs, qui tourne autour de la non-conformité mentale qu'est le trouble du spectre autistique.
4) Devrions-nous abandonner la confidentialité en ligne? Ceux qui acceptent de sacrifier leur liberté pour la sécurité disait Franklin ne mérite ni l'une ni l'autre. Combien d'intrusion dans notre vie privée sommes-nous d'accord d'accepter aujourd'hui, et par qui?
5) Devrions-nous donner à des robots la possibilité de tuer? Cela semble absurde à première vue, si l'on a grandi au milieu de romans de science-fiction où des robots tueurs étaient une menace. Cependant, il arrive que nous soyons amenés à tuer: en guerre, ou dans les pays où la peine de mort est légale. Des robots pourraient être en mesure de le faire de manière mieux ciblée (insérer ici: moins de victimes civiles) ou plus équitable (moins d'innocents condamnés à mort). Deux objections à cela évidemment. Pour trouver qu'un robot qui tue de manière plus parcimonieuse est une bonne chose, il faut commencer par accepter la légitimité de tuer dans ces cas. Si on ne l'accepte pas, alors ce robot est une idée absurde, complice, immorale. La deuxième objection est qu'il est problématique de donner la possibilité de tuer à une entité qui n'est pas équipée d'un système moral. Pour le moment, donc, le consensus est assez clair: ce sera non.
6) Devrions-nous relâcher des formes de vie synthétiques dans la nature? Elles pourraient faire partie de la solution à de nombreux problèmes, capturer du CO2 et limiter le changement climatique, pousser dans des régions arides. Elles pourraient aussi avoir des effets difficiles à prédire sur les écosystèmes. Difficiles, OK, mais peut-être pas impossible cela dit. Si les risques sont prévisibles, peut-être qu'un jour ces organismes seront notre meilleur espoir pour des problèmes planétaires? Peut-être même que, si nous avons tort et que des super-plantes envahissent la planète, elles la préserveront mieux que nous...
7) Devrions-nous agir intentionnellement sur le climat? Nous avons déjà agi sur le climat inintentionnellement en sortant les hydrocarbures du sous-sol pour en libérer les produits dans l'atmosphère. Devrions-nous le refaire, exprès cette fois, pour limiter les effet de nos actes passés sur le climat? Pour répondre à cette question, il faudrait prendre en compte que ces techniques ne marcheront peut-être pas, auront peut-être des effet secondaires, auront des impacts différents sur différentes régions du globe. Il faudrait aussi prendre en compte que les seules alternatives sont d'éliminer notre utilisation des énergies fossiles complètement d'ici à 2070, ou de vivre dans un monde qui n'aura plus rien à voir avec celui dans lequel notre espèce s'est adaptée, ou de trouver un monde alternatif. Mince, une question que pessimiste celle-là.
8) Devrions-nous imposer un contrôle du nombre de personnes dans le monde? En contrôlant les naissances, par exemple? Sur le plan écologique, il pourrait être raisonnable de le faire. Pas tant dans les pays pauvres, car même si les naissances y demeures plus nombreuses que dans les pays riches, l'impact écologique de chaque personne y est nettement plus bas. Limiter les naissances dans les pays riches, par contre, pourrait être très utile. Historiquement, on doit cependant constater que ce genre de politique a presque toujours favorisé des abus de pouvoir, parfois violents. En plus, on considère déjà maintenant trop souvent que le nombre de naissances est une responsabilité des femmes: si le nombre d'enfant devient un enjeu moral ce serait encore une raison, donc, de blâmer les femmes abusivement et ça aussi c'est un problème. Les inconvénients seraient-ils plus grands que les avantages? Ou bien peut-être est-ce la longévité qu'il faudrait limiter, ou du moins cesser de vouloir prolonger davantage? On voit bien les problèmes que cela pourrait poser.
9) Devrions-nous coloniser d'autres planètes? Nous découvrons des exoplanètes, certes lointaines, mais la possibilité de les coloniser ne restera pas nécessairement entièrement théorique. Et si de la vie existait ailleurs? Aurions-nous le droit de la perturber, voir de la détruire? Selon la plus forte probabilité, il s'agirait de microbes. Sur terre, nous détruisons les microbes sans états d'âmes. Si nous détruisions des microbes ailleurs pour permettre aux humains d'y vivre avec un écosystème terrestre, aurions nous plus détruit ou plus créé? Les auteurs concluent que coloniser l'univers pourrait aussi poser problème si, après ne pas avoir préservé la terre, nous ne préservions pas non plus les mondes suivants où vivraient, peut-être, nos descendants. Devrions-nous donc renoncer pour des raisons de conservation galactique?
10) Devrions-nous arrêter de faire la science? La recherche scientifique nous apporte d'immenses avantages. Elle nous apporte aussi des risques, et des inconvénients. Des progrès scientifiques sont par exemple à l'origine de l'énorme croissance de la population mondiale et du changement climatique. Les avantages sont-ils suffisants pour accepter les risques et les inconvénients? Peut-être avons-nous eu de la chance jusqu'à présent, et qu'il serait prudent de s'arrêter pendant que nos gains sont plus importants que nos pertes. Mais peut-être que, justement, une grande partie de nos difficultés actuelles montrent que nous avons besoin d'apprendre plus de choses, de trouver de nouvelles solutions, et d'apprendre comment mieux appliquer celles que nous avons.
Ces questions sont difficiles. Mais bien sûr il est impossible de s'arrêter à ce constat pour simplement ne pas y répondre. D'une manière ou d'une autre, nous y répondons en permanence par une foule de choix que nous faisons, individuellement et collectivement. Comment, donc, améliorer nos choix et être confiants que l'amélioration en est vraiment une ? Vaste question que celle-là aussi.
Finalement: ces questions sont-elles les bonnes? Ce n'est certainement pas une liste complète des enjeux moraux de notre temps, ni un ordre objectif de leur importance. Quelles questions ajouteriez-vous dans la liste? Lesquelles enlèveriez-vous?