En Allemagne, l'euro a bénéficié au secteur privé tandis qu'en France, il a permis de consolider le rôle de l'Etat à coût réduit. Cette réalité est-elle pérenne ? Rien n'est moins sûr. Il faudrait que les économies des deux pays s'alignent d'avantage et qu'une compréhension mutuelle fonde les équilibres monétaires et budgétaires. Sans ce rapprochement, la monnaie unique servira de révélateur à des dissensions ancestrales. Plus que jamais, la perpétuation de l'euro repose donc sur le fragile équilibre de l'axe franco-allemand.
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On peut d’ailleurs se demander si l’euro, qui constitue un choix résolu d’économie de marché, n’est pas en profonde contradiction avec le poids croissant de la majorité des États dans les économies européennes. Comment serait-il possible de revendiquer le statut de monnaie de réserve dans un continent dont les systèmes bancaires sont sous quasi-tutelle publique ? Par ailleurs, l’Europe du Sud est menacée d’un chômage structurel, lié notamment au manque d’intégration des jeunes, à l’absence de stimulations au recyclage, à l’hémorragie de l’emploi industriel, etc.
Mais il y a plus sinistre : la mobilité des capitaux met en concurrence les systèmes sociaux et d’enseignement et conduira à leur convergence. Au cours de la prochaine décennie, il faudra susciter une extrême adaptabilité des travailleurs afin que leur mobilité reflète les choix d’harmonisation monétaire. L’euro porte donc en lui un ajustement des systèmes de protection sociale dans leur sens d’une plus grande compétitivité et flexibilité mais à l’unique (et très incertaine) condition de son acceptation sociale. La monnaie unique consomme théoriquement la fin de l’Etat-providence. En même temps, il ne faut pas se leurrer. Le postulat d’une mobilité du travail est facile à énoncer, mais sa mise en œuvre n’est pas, en soi, un but sauf si on accepte que l’euro s’inscrive dans une logique d’économie de marché et y contribue. Mais il existe des réalités incontournables, tel le manque d’unité linguistique, culturelle, institutionnelle, juridique, etc. En résumé, malgré une incontestable convergence des économies de l’eurozone, ce sera la croissance qui sera le meilleur atout pour renforcer l’homogénéité monétaire.
A propos de l'auteur : Bruno Colmant est chef économiste de la banque Degroof Petercam et membre de l’Académie Royale de Belgique.