Dans un article récent, le site Middle East Eye met l’accent sur l’invasion, toujours plus insupportable durant le ramadan, des publicités dans les programmes télévisés du monde arabe. Avec cette particularité cette année que les réclames pour les produits de luxe, ou simplement onéreux, soulèvent de nombreuses critiques au regard des conditions économiques très difficiles que vivent de nombreux habitants de la région, notamment en Egypte soumise à de sévères politiques d’austérité (300 % d’augmentation du prix du métro par exemple).
La palme de la publicité de mauvais goût a toutefois été remportée, sans conteste possible, par ‘Amr Khaled (عمرو خالد), une vedette, plus très jeune (puisqu’il frise la cinquantaine), de l’islam médiatique sur les chaînes arabes (entre autres occurrences dans ces chroniques, voir ce billet que je lui consacrais il y a… 11 ans de cela !) Dans la vidéo (ci-dessous) que les arabophones pourront déguster, on le voit faire son numéro habituel dans son style inimitable qui lui permet de débiter avec un enthousiasme toujours renouvelé un flot intarissable de bondieuseries pleines de lieux communs. Mais cette fois, l’as du prêchi-prêcha télévisuel a poussé le bouchon un peu loin en vantant une marque de poulet surgelé dont la pieuse ingestion était, à l’entendre, indispensable à la plénitude morale et spirituelle requise pour les musulmans en ce mois sacré. Quelque chose qui pourrait donner en français (traduction libre mais à peine caricaturée) : « Avec les poulets Wataniyya, la purification de l’esprit, ça y va ! » (مع دجاج الوطنية ارتقاء الروح لربنا أحلى)
L’occasion était trop belle pour ne pas régler son compte à une personnalité dont le succès (11 millions d’abonnés à son fil Twitter et presque trois fois plus à sa page Facebook) en agace plus d’un. À commencer par tous ceux, croyants ou non, qu’insupporte ce batteur d’estrade auquel ils reprochent d’être un vulgaire marchand de soupe à la sauce musulmane. Si les plus tolérants veulent bien croire que les ressources publicitaires sont indispensables pour financer le combat (médiatique) pour l’islam que prétend mener l’animateur religieux qui a déjà eu recours à cet expédient à plus d’une reprise, personne ne peut accepter que le plein accomplissement des rites de ramadan soit ainsi mêlé à la consommation de produits commerciaux aussi vulgaires ! Jouant sur les mots, quelques petits malins ont même détourné le début d’un célèbre dit prophétique (hadith) où les deux « desseins pieux » (c’est ainsi que je traduis, pour la rime, le mot farha) associés au jeûne de ramadan sont devenus, en accord avec le prêche publicitaire d’Amr Khaled, « deux poussins vieux» (farkhatan).
Via ses nombreuses tribunes numériques, l’accusé a fait amende honorable en réclamant le pardon pour cette faute qu’on peut bien excuser de la part de celui qui se désole de n’être qu’un homme comme les autres, et par conséquent jamais à l’abri d’une faute. Il reste, plaide-t-il pour sa défense, que ses intentions étaient louables puisque les fameux poulets congelés sont produits par une compagnie islamique, à des fins charitables en fin de compte…
Comme le rappelle un article publié par le magazine en ligne Raseef22, cette malencontreuse affaire tombe précisément au moment où un universitaire de Damanhur, au nord de l’Égypte, fait l’objet d’une enquête pour avoir osé critiquer en public deux « intouchables » de l’islam médiatique, cheikh Shaarawi (شيخ الشعراوي), décédé en 1998, et… Amr Khaled !!!
On voudrait bien se réjouir de constater que la presse arabe rompt pour une fois avec sa complaisance habituelle à l’égard des hommes de religion et n’hésite pas à s’en prendre à un trafiquant de bons sentiments. Hélas, ce n’est pas si simple… À y regarder de plus près, on constate en effet que ce sont surtout les médias saoudiens, ou financés pas eux, qui ont mené la danse contre le faux-pas d’une figure de l’islam médiatique qualifiée, par la chaîne Al-Arabiyya par exemple, de « prêcheur [frère] musulman » (داعية إخواني). En d’autres termes, tout prétexte est bon pour s’en prendre, d’une manière ou d’une autre, à un homme surtout détesté parce qu’il est suspect (voir cet article de la chaîne CNN arabe par exemple), d’être proche des horribles Qataris !…