Lenny Rébéré
L’écume des jours
Lenny Rébéré, art contemporain, artiste peintre, fusain, encre | Publié par Thierry Grizard le 26 mai 2018 pour artefields.net
Lenny Rébéré, traces passages et réflexions
Lenny Rébéré est un très jeune plasticien et artiste peintre de 24 ans, bien que sa démarche soit déjà avancée et ferme, le jeu des influences est inévitablement encore assez prégnant. Or, Marc Desgrandchamps qui peint sans échelle, en transparence, sans aucun souci de cohérence illusionniste ou narrative, a trouvé, en la personne de Lenny Rébéré, un héritier particulièrement talentueux.
C’est ce qui frappe immédiatement, ce jeune artiste français est comme la prolongation d’une part de Desgrandchamps. En intervenant à l’encre et au crayon sur des surfaces en verre ou en marouflant ses dessins au fusain à l’envers d’un plan translucide, il emprunte en quelque sorte le même chemin que son aîné mais en donnant corps aux transparences qui caractérise cette œuvre.
Desgrandchamps qui a la réputation d’être relativement inclassable, voire rétif à une description didactique, se définit toute de même par un trait constant, ses toiles sont comme des collages aux calques, des images disparates agrégées mais à partir d’une surface translucide.
Lenny Rébéré a repris l’idée, en quelque sorte, au pied de la lettre, en adoptant un support transparent et peut-être encore plus essentiellement, réfléchissant.
© Lenny Rébéré.
Réflexions
La lumière propre à la scène comme celle qui se réfléchit est fondamentale dans le travail de l’artiste plasticien et peintre. D’autant plus que le fusain, le crayon et l’encre fonctionnent que par les nuances des noirs et des blancs, c’est une technique du contraste et de son pendant : la lumière, telle qu’elle se fixe par éclats ou surgissements des plans. Robert Longo est probablement une des figures majeures de ce traitement des noirs toujours plus intenses et des transparences par superpositions, frottages et écrêtages.
Rébéré, précisément, est moins intense que l’américain dans ses noirs, ce qui l’intéresse c’est le multi-calque, les « layer » superposés, qui sont autant de jeux de réflexions, parfois même jusqu’à capter des environnements extérieurs au cadre de la toile ou en trouant le plan pictural par de grandes réserves verticales évoquant les aberrations optiques des appareils de prise de vue tels que les « lens flare ». La réflexion est un changement de direction de par la rencontre d’un autre corps qui s’interpose. Tout le travail du plasticien pourrait s’assimiler à ce phénomène de distorsion. La toile agit tel des fanons. Le plan où Rébéré dépose les accrétions visuelles est un filtre qui ne retient que l’arbitraire du peintre.
C’est pourquoi les encres sur verre sont l’aboutissement naturel de cette démarche, non seulement l’artiste simule des réflexions hors cadre mais il obtient physiquement et aléatoirement, suivant le lieu, des diffractions supplémentaires. La confusion peut alors parvenir à son comble et procurer cette image brouillée du réel — recomposée par collage d’images elles même virtuelles — si spécifique du travail de Rébéré.
© Lenny Rébéré.
Le motif et le territoire
Les peintres, depuis longtemps, ne peignent plus sur le motif, c’est-à-dire selon la perception physique du paysage ou la relation directe aux modèles, ceci jusqu’à Francis bacon qui préférait à ses modèles vivants leurs images photographiques.
Dans la peinture post moderne et contemporaine le motif relève de la collecte de documents visuels, et pour les générations de l’ère numérique, d’images aux référents évanescents, pour emprunter un terme Deleuzien, des images déterritorialisées et réappropriées suivant des associations qui leur sont, la plupart du temps, totalement étrangères.
Dans le cas de Lenny Rébéré, les collages se composent presque exclusivement d’image de la vie urbaine, notamment dans ce qu’elle a de fugace, les lieux de passages en particulier, les gares, les halls, les espaces anonymes où des gens également anonymes se croisent sans se voir, ou de manière subreptice.
D’ailleurs, lors de son exposition à la Graineterie de Houilles, Lenny Rébéré était associé, entre autres, à Eva Nielsen qui depuis des années poursuit un travail de collage par sérigraphie et peinture sur le thème du périurbain, développant une sorte d’élégie mélancolique aux connotations dystopiques. Un univers qui présente de nombreuses similitudes avec celui de Rébéré où l’isolement, l’indifférence et la déréliction ne sont jamais loin, un imaginaire très répandu chez les artistes contemporains qu’ils s’agissent des sculpteurs hyperréalistes tels que Ron Mueck, Choi Xooang ou Sam Jinks, du cinéma dystopique particulièrement prolifique sur ce thème ou de peintres tel que Philippe Cognée.
© Lenny Rébéré.
L’un et les multitudes
Rébéré, s’il agrège des images du peuple des villes, n’est pas pour autant descriptif. Dans ses toiles il n’y a pas un seul lieu, mais plusieurs, qui relèvent de temps différents et dont la confrontation fluide conduit à de nombreuses incongruités. Sans même évoquer la présence d’objets sans rapport cohérent avec la situation, telles que des télévisons des années 1950 trônant au beau milieu d’une salle d’attente, à l’identité neutre ou au style international, de fer et de verre.
Est-ce pour autant un travail de mémoire, d’empreinte subjective ? En partie probablement, mais le sujet ressort davantage d’une évocation picturale de la fluidité, de la mémoire de l’espace, soit la marque du temps sur ce dernier, mais puisque les « endroits » de Rébéré sont toujours peuplés de figures, parfois très nombreuses, la trace mémorielle est avant tout celle des multitudes qui se croisent. Cet aspect de son travail rappelle d’ailleurs le parcours que Philippe Cognée poursuit, (au demeurant professeur aux Beaux-Arts de paris depuis 2005). Cependant ces personnages eux-mêmes sont hétérogènes et découlent du même procédé de collage, non seulement ils sont étrangers les uns aux autres pour la plupart, mais ils appartiennent aussi à des sphères différentes, le privé et le public, l’urbain et son opposé, et ainsi de suite.
© Lenny Rébéré.
La peinture est un nœud
Dans ses œuvres plus anciennes, si tant est que l’on puisse dire cela d’un artiste si jeune, Lenny Rébéré semble citer assez directement Michaël Borremans. Pour le peintre belge de la suspension narrative la toile doit fonctionner comme un nœud qui arrête l’attention en se refusant, tout en ouvrant des perspectives innombrables. Rébéré dans « View » (2015) et les têtes sous sacs plastique de 2017, semble se référer directement à certaines pièces de Borremans. Cet hommage est significatif dans la mesure où le caractère narratif du travail du peintre français est soumis aux mêmes circonvolutions qui piègent le regardeur l’obligeant, dans l’impossibilité à compléter de manière cohérente le « sujet », à « aller voir » plus avant.
D’ailleurs, dans le corpus de Rébéré, on trouve des éléments ouvertement surréalistes qui se déplacent dans le champ de l’écart, la rupture, dans une veine toutefois légèrement fantastique qui rappelle Peter Martensen ou certains jeux vidéo qui ont marqué la génération du jeune français.
© Lenny Rébéré.
Lenny Rébéré a su en très peu de temps parvenir à un style déjà très identifiable qui se caractérise par une sorte de trouble visuel de la mémoire, aussi bien collective que personnelle. Une préoccupation interrogeant l’identité, les contours de l’intime et la représentation du réel, les repères fuyants du collectif, des problématiques que beaucoup d’artistes contemporain partagent, de Chiharu Shiota, Oda Jaune, à Antony Gormley en passant par la presque totalité de la sculpture hyperréaliste. Rébéré peint l’écume des jours revisitée, de l’individualisme existentialiste à un « dividu» tâtonnant pour trouver quelques lignes de démarcation qui soient tangibles et fermement établies. Le peintre se tient à la lisière de tous ces champs fluctuants, il en donne la « réflexion » confuse.
© Lenny Rébéré.
Courtesy galerie Isabelle Gounod
BIO, Lenny Rébéré
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