« Une ceinture, une route », marque un changement radical de la politique étrangère de la Chine. Cette dernière a l’ambition de créer une version moderne des « routes de la soie » pour développer le commerce en renforçant les capacités du fret chinois, à partir de ses villes, gares, ports et aéroports, pour aller vers l’Europe, notamment en Allemagne et en Angleterre (post-Brexit). En même temps, elle n’exclut pas un détour par l’Afrique, pour y trouver terres agricoles, métaux et plus encore ces « terres rares » (scandium, yttrium…), décisives pour le numérique. L’idée chinoise est, officiellement, de nouer des partenariats économiques mutuellement avantageux entre les pays émergents, qu’elle entend représenter, et les pays industrialisés, auxquels elle veut les présenter. Une des conséquences les plus palpables de cette stratégie chinoise est la guerre commerciale que se livrent les deux leaders mondiaux de e-commerce. Le géant chinois du shopping en ligne Alibaba se dirige vers la nouvelle route de la soie en cherchant des emplacements d’entrepôt le long du tracé de la liaison ferroviaire Chine – Royaume-Uni. La Chine a besoin de ressources naturelles pour ses activités économiques notamment de pétrole, de gaz et de minerais. La croissance chinoise cherche à se réorienter vers la consommation avec une classe moyenne qui augmente de 20 millions de personnes par an. La situation est aussi de nature géopolitique, car 70% des approvisionnements de la Chine transitent par le détroit de Malacca. Alibaba a cherché des hubs similaires dans les pays où le train passe.
La stratégie géoéconomique contemporaine de la Chine
Initié en 2013, le projet pharaonique de nouvelle route de la soie (MSRI) traverse près de 70 pays, qui a pour stratégie de bouleverser l’équilibre mondial. Le MSRI n’est pas seulement une infrastructure matérielle, elle a aussi une dimension immatérielle en termes de connectivité. La stratégie est de se positionner en nouveau leader mondial à travers la maîtrise des routes commerciales. L’idée est simple, relier plus rapidement la Chine et l’Europe par le biais de deux routes. La première, ferroviaire, partirait du centre de la Chine et passerait par le Kazakhstan, la Russie, la Pologne, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni. Des échanges sont boostés entre l’Europe et la Chine par le fret ferroviaire. 8 pays traversés et 11 000 kilomètres de rails sur deux continents, « une nouvelle ceinture, une nouvelle route ferroviaire ».
Depuis janvier 2017, le fret ferroviaire direct entre le vieux continent et le pays de l’Empire du Milieu explose littéralement, il a plus d’un atout, bien moins lent que le bateau, et bien meilleur marché que l’avion. Le trajet des convois est donc plutôt rapide, et c’est l’atout majeur de ces nouvelles autoroutes de la soie : entre 18 et 22 jours pour traverser la moitié du globe sans passer par les airs. En bateau par exemple, il faudrait le double de temps, 35 à 45 jours en moyenne. Quant à l’avion, il est évidemment beaucoup plus rapide, 5 jours en moyenne, mais il est beaucoup plus cher, et surtout, il ne peut pas transporter des marchandises trop lourdes. L’autre route, maritime, partirait des ports européens (France, Grèce, Pays-Bas), traverserait la Méditerranée, le canal de Suez, la mer Rouge, l’océan Indien jusqu’au Sri Lanka, descendrait jusqu’à Singapour puis remonterait vers Shanghai. Il serait ainsi créé une ceinture commerciale, « One Belt, One Road » visant à mieux intégrer économiquement l’Eurasie. Il y a en effet derrière ce plan une dimension de diplomatie économique qui doit permettre à Pékin et à ses entreprises de trouver des relais de croissance hors de Chine. Ce programme vise à créer de nouveaux débouchés dans les pays émergents.
Les réticences à l’égard de la stratégie chinoise
Le gigantisme du plan des nouvelles routes de la soie ne doit pas faire oublier les risques qu’il fait peser. Derrière un vaste projet économique, qui doit conduire la Chine à investir hors de ses frontières se cache une autre ambition, celle de façonner une mondialisation à la chinoise. C’est que le lancement du programme, OBOR, n’a pas manqué de susciter des réticences. Certains voisins (Thaïlande, Philippine) y ont vu le signe d’une politique d’expansion régionale toujours plus offensive de la part de Pékin. Moscou et l’Inde n’ont pas accueilli, non plus, à bras ouverts l’idée de voir croître l’influence chinoise en Asie centrale. « Les nouvelles routes de la soie » posent deux problèmes à l’Union européenne. D’abord, elle ne partage pas la vision de la Chine de l’échec de la gouvernance mondiale actuelle. Ensuite, cette route ne contient que peu de projets qui bénéficieraient à l’Europe occidentale, l’absence d’implication des États-Unis, partenaire structurel et historique de l’Europe, déstabilise également le vieux continent qui craint désormais de perdre son influence en Asie centrale au profit de la Chine. De leur côté, les États-Unis cherchent à s’allier avec le Japon, l’Inde et l’Australie qui pourraient joindre leurs forces pour mettre en place une initiative alternative aux Routes de la Soie chinoises.
Le volontarisme du Maroc à l’égard de la stratégie chinoise
La Chine mise sur les pays en voie de développement, et notamment l’Afrique qui reste un immense réservoir de ressources et surtout un marché accessible pour les produits chinois. Dans ces pays la Chine finance des projets d’infrastructures en échange de clauses préférentielles pour l’accès aux ressources et aux marchés locaux grâce aux facilités de crédit. Le Maroc, comme tous les pays qui basent leur économie sur le commerce maritime et qui se sentent menacés par la nouvelle stratégie de la Chine qui opte pour le transport terrestre, cherche à se frayer un chemin dans la route de la soie prônée par Pékin.
Le Maroc, dispose d’un potentiel important de commerce maritime grâce à son positionnement comme porte d’Afrique et d’Europe. Surtout qu’il possède le troisième Hub le plus important stratégiquement au monde après Shanghai et Panama, qui n’est autre que le port de Tanger-Med qui est au point de passage de 20 pour cent du commerce mondial, risque d’être marginalisé par la nouvelle stratégie commerciale de la Chine. C’est la raison pour laquelle le Maroc a signé le 27 mars à Rabat un protocole d’accord avec la Chine en vue de créer un conseil d’entreprise de la Route de la soie*. Ce protocole d’accord a été approuvé par la signature de l’Association des Employeurs du Maroc (CGEM) et le Conseil chinois pour la promotion du commerce international dans la capitale économique du Maroc. Le Maroc se positionne comme la porte d’entrée de l’Europe en Afrique et qui se voit loin de projets de fret terrestre chinois. Dans cette optique, il a essayé de profiter du sommet Chine-Afrique à Marrakech pour mettre ses services portuaires à la disposition de la Chine. Le régime chérifien met en avant son infrastructure Tanger Med en tant que 3e hub maritime. L’arrimage du Maroc au projet chinois OBOR est vécu localement comme une bonne opportunité. L’enjeu vu de Rabbat est de drainer des investissements étrangers en provenance de Chine et d’Europe et booster ses exportations vers l’Afrique.
Imane Gabbaz
* Ce conseil vise à servir de plate-forme pour les secteurs industriels et commerciaux des deux pays. Il fournira des informations sur les opportunités d’investissement et aidera à résoudre les problèmes qui entravent la coopération commerciale au niveau international. Des échanges permanents d’informations actualisées sur la situation économique des deux pays, l’évolution réglementaire, les données commerciales et les politiques industrielles et commerciales seront également disponibles sur cette plateforme.
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