Pour l'heure, j'ai découvert son "Odyssée de Pénélope", parce que j'aime beaucoup l'Odyssée d'Homère et que j'essaie de m'intéresser à ses personnages féminins. Pénélope en est un et pas des moindre...
L'éditeur écossais Cannongate Books a proposé à certains auteurs contemporains de "réécrire"un des grands mythes de leur choix, constituant ainsi une collection internationale qui les "revisite"avec un œil vivant et fécond.
Margaret Atwood, faisant partie de l'aventure, nous livre ici l'Odyssée, pas moins, mais racontée par Pénélope.
Elle fait de ce personnage le centre de l'intrigue et du même coup nous en propose une lecture riche et libre, étayée sur des recherches passionnantes.
J'ai vraiment beaucoup aimé faire la connaissance d'une Pénélope, fille d'Icare et d'une Naiäde.
A moitié nymphe, elle survit de la noyade organisée par son père qui voulait s'en débarrasser.
"Ma mère, comme toutes les Naïades, était splendide, mais froide de cœur. .. C'était une femme insaisissable.... Elle aimait mieux nager que s'occuper des tout-petits, et il lui arrivait souvent de m'oublier... "
Cette généalogie lui est conférée par des sources autres que l'Odyssée, (Hérodote, Pausanias, Apollodore et Hygin).
Margaret Atwood a travaillé à incarner ce fameux personnage grâce à l'ouvrage de Robert Graves, "Les Mythes grecs" dans lequel on trouve aussi des éléments relatant des rumeurs d'infidélités.
Le récit est court et extrêmement construit. Il s'enroule autour de la recherche d'une réponse à une question : "Comment expliquer la pendaison des douze servantes ? Et que manigançait vraiment Pénélope ?"... "J'ai toujours été hantée par l'image des servantes pendues"... Dans l'Odyssée de Pénélope, Pénélope l'est aussi."
Du royaume des morts, Pénélope dit tout, parce qu'elle sait tout, enfin, et ne peut plus se taire.
Elle raconte pas à pas l'histoire d'Ithaque sans Ulysse, et celle de son retour avec le carnage qui s'ensuit.
Les servantes assassinées poursuivent Ulysse sans répit, criant à l'injustice et se vouant à une vengeance éternelle.
Elles forment un chœur antique qui revient régulièrement rythmer le texte pour annoncer de manière burlesque, grotesque, ou tragique ce qui va suivre.
"Nous étions douze. Douze derrières ronds comme la lune, douze bouches appétissantes,, vingt-quatre tétons moelleux et, par-dessus tout, vingt quatre pieds agités de soubresauts."
Mais au chapitre 24, c'est à un cours d'anthropologie qu'elles nous invitent, et là, elles nous exposent la théorie brillante et étonnante de Margaret Atwood qui voit dans la tuerie l'image d'un rite ancien, détourné par Ulysse, pour sauver sa peau.
Pénélope devient l"implacable déesse de la lune", incarnation d'Artémis en personne :
Leur massacre, l'ultime prise de pouvoir d'Ulysse sur le royaume de sa femme.
"Il est donc possible que les viols et les pendaisons subséquentes illustrent le renversement d'un cycle lunaire matrilinéaire par un groupe d'usurpateurs barbares, adorateurs des dieux masculins, aux visées patriarcales. Leur chef, Ulysse, pour le nommer, a ainsi accédé au trône en épousant la grande prêtresse de notre culte, Pénélope."
Voilà donc une interprétation audacieuse de cette fameuse histoire que j'ai lue avec une certaine jubilation.
Cette théorie en fait un texte féministe qui ne se prend pas pour autant au sérieux et qui sait nous amuser.
Pénélope a le verbe haut et des talents de conteuse comparables à ceux de son illustre époux : "Depuis toujours nous étions tous deux des menteurs émérites et éhontés",
...«Tourner les autres en ridicule, c'était une de ses spécialités. Il s'est magistralement tiré d'affaire. Se tirer : encore une de ses spécialités ».
Je ne vous citerai pas tous les passages où elle raconte à sa manière les exploits d'Ulysse qui lui sont rapportés, comme l'épisode du cyclope où elle ne voit qu'un borgne belliqueux voulant jeter Ulysse hors d'une taverne sordide...
Je vous invite simplement à la lecture de ce texte qui vraiment, offre de bons moments.
A lire, sur l'auteur, un grand article de Barbara Godard sur L'Encyclopédie canadienne,
Une belle analyse de Luan Canaj, sur Nuit Blanche
Christophe Mercier écrit dans un article du figaro du 24 Novembre 2005 : "Margaret Atwood a réussi son pari : sortir L'Odyssée de sa vitrine, et donner envie de la relire, tout simplement, comme un grand roman d'aujourd'hui...",
extrait de l'article ici,
David Homel en parle sur cyberpresse.ca,et nous explique que ce livre est un ouvrage de commande. L'éditeur fait appel à des auteurs contemporains pour revisiter les grands mythes et en faire une collection.
Des avis enthousiastes sur voir ça, " Nulle autre que Margaret Atwood n'aurait eu la crédibilité et l'audace nécessaires pour revisiter ainsi le grand mythe d'Ulysse sous un angle féministe"
Yueyin a rédigé un beau billet sur ce livre et nous dit avoir "passé un bon moment de lecture avec Pénélope". C'est en lisant son post que j'ai eu envie de le lire ;)
Fashion "recommande vraiment très chaudement cet ouvrage, que vous soyez amateur de mythologie ou non!"le style lui a " beaucoup plu, mélange de formules lapidaires, de lyrisme et d'humour".
Libr'heri le trouve intéressant,
Sur le club des rats de biblio.net, Philcabiz a un avis mitigé, Doriane parle d'un agréable petit divertissement,
Cal écrit : "Ce court texte, par l'entremise duquel Atwood évoque la place de la femme dans le mariage et dans la société , est un petit bijou."