Bien sûr, ce n'est pas dit explicitement, mais ce recueil de poèmes en prose parcourt une année, comme une vie, et, mieux, se poursuit au-delà...
Le poète observe le monde qui l'entoure, et, de ces observations, il le recrée comme il le sent, sans chercher à comprendre, en s'en imprégnant, tout simplement: que du bonheur.
Dans un de ses poèmes, il dit en effet:
C'est un bienfait de ne rien comprendre à l'existence.
Un espace plus loin, il ajoute:
Heureusement les détails nous soutiennent.
Alors le lecteur lit et relit, éclairé par ces deux phrases glissées en douce dans un même poème qui se trouve presque à la fin du recueil.
Dans le premier poème le cycle annuel commence:
Mai arrive en avance. Je n'éprouve plus aucun désert en moi
et chaque visage que je croise m'en rappelle aussitôt un autre.
Dans un des derniers ce cycle semble se refermer:
Tôt ce vendredi de mai, le soleil empourpré d'un rosé de Provence
pris d'ivresse ou de vertige bascule pile sur notre ville.
Le recueil ne s'arrête pourtant pas en si bon cycle; il se termine par un poème où se profile l'espoir d'une autre saison:
L'été pointe au contour de la forêt, prodigue en talus herbeux
qui invite à s'allonger sur eux...
Entre le début et la fin, au rythme des saisons, le poète aura eu tout loisir de s'émerveiller de ce qu'il voit et d'en noter la circonstance:
Le ciel est mélodieux
quand les nuages lui font de la place.
[...]
J'apprécie le jour parce qu'il tombe
et bravement se relève.
[...]
Même sans vent les feuilles s'en vont
vives dans la saison soi-disant morte.
[...]
Si nous aimions le brouillard au lieu de le maudire
il nous guiderait au lieu de nous égarer...
Il ne se limite pas à la première impression qu'il a. Certes, elle est bonne, mais elle en suscite bien d'autres chez lui.
Pour ne pas les perdre il a sa méthode:
Je note des phrases, en effet, et elles vont leur itinéraire
bras dessus bras dessous en trébuchant dans mon calepin.
De ces notes surgissent des images. Sans doute en a-t-il été ainsi pour ces deux-ci:
Vers minuit, au carrefour, un point d'interrogation
fait les cent pas sans aucune phrase qui le précède.
[...]
Ce trente juillet à minuit les grillons saluent la récolte des prunes
déclarée officiellement close.
Pour Jacques Tornay, la vraie vie, A parts entières, est donc poétique et le mot de sa fin ne peut qu'être gagnant, du moins le souhaite-t-il:
Si la fin dernière me réclame
j'aimerais qu'elle s'apparente à un glissement de terrain
en douceur donnant sur un décor jamais vu auparavant.
Francis Richard
A parts entières, Jacques Tornay, 64 pages, Éditions de l'Aire