L’écrivain américain, quatrième Man International Booker Prize A défaut du prix Nobel de littérature qui lui a souvent été promis, Philip Roth, 78 ans, peut ajouter à une longue théorie de récompenses celle que vient de lui attribuer le jury du Man Booker International Prize. Quatrième lauréat de ce prix bisannuel, l’écrivain américain succède à l’Albanais Ismail Kadaré, au Nigérian Chinua Achebe et à la Canadienne Alice Munro. Son œuvre reflète les aléas de la condition humaine, examinée à travers des personnages qui sont souvent des doubles de l’auteur. Elle vaut autant par ses aspects tragiques que par sa puissance comique. Cela grince de partout, et de plus en plus au fur et à mesure que l’homme, vieillissant, fait face à la déchéance physique. Le questionnement incessant sur l’identité juive est également au cœur d’un travail de fiction dans lequel la réalité est transfigurée. Son talent a été remarqué dès son premier livre, un recueil de nouvelles : Goodbye Columbus a reçu le National Book Award en 1960. Philip Roth n’a pas 30 ans. Il prend définitivement place au sein des meilleurs écrivains américains quand sort, en 1969, Portnoy et son complexe, où l’intervention de la psychanalyse ne sauve pas le personnage principal de l’abîme dans lequel le plonge sa propre sexualité. Dix ans plus tard, il laisse à Nathan Zuckerman, désormais son double préféré, le soin de porter sur l’existence son regard critique. Le cycle commence avec L’écrivain des ombres et se poursuivra pendant près de 30 ans, jusqu’à Exit le fantôme – les titres originaux de ces deux romans utilisent le même mot : ghost. Dans La leçon d’anatomie ou La tache comme dans les neuf romans où apparaît le personnage, l’histoire contemporaine des Etats-Unis est passée au crible de son expérience personnelle. Riche de plus de trente livres, sa bibliographie témoigne d’une créativité capable de rebondir sans cesse, même lorsque l’écrivain laisse entendre qu’il a épuisé ses sujets de prédilection. L’année dernière encore, il a publié Nemesis, qui pose avec Un homme, Indignation et The Himbling (les deux plus récents ne sont pas disponibles en français) une série de questions sur les choix qui s’offrent à l’homme et les circonstances qui le poussent à les faire. Philip Roth reconnaît les influences qu’il a lui-même subies : elles se situent autant du côté de la littérature européenne que des grands écrivains américains, juifs ou non. Il en a pris le meilleur pour trouver un ton à nul autre pareil.
Un dernier cycle de 4 romans Némésis, c’est la colère des dieux ou, pour les puristes, la déesse de la colère divine. Et, pour nous, le titre d’un cycle de quatre romans courts dans lequel Philip Roth donne en quelque sorte son testament d’écrivain, au moment où ses 79 ans (un peu moins au moment d’écrire ces livres) le rapprochent de la grande question : qu’y a-t-il après la mort ? Un homme, paru en 2006 et traduit en 2007, est une sorte d’autoportrait fictif, ouvert par l’enterrement d’un double de Roth et poursuivi par l’évocation de ce qu’il a été pour ses proches, jusqu’au massacre de la vieillesse. Indignation (2008 et 2010) montre comment un jeune homme se débat, au moment de la guerre de Corée, entre sa découverte d’une sexualité débridée et le poids de la religion présente à l’université comme dans sa famille, bien que de manières différentes. Paru l’an dernier en français (en 2009 aux Etats-Unis), Le rabaissement raconte la descente aux enfers d’un comédien âgé qui a tout perdu de son talent et croit retrouver une seconde jeunesse, le temps trop bref d’un dernier amour. Avec Némésis (2010 et 2012), qui reprend le titre du cycle, Roth poursuit et clôt l’alternance qu’il a mise en place entre personnages vieux et personnages jeunes. Tous poursuivis, dans des circonstances diverses, par cette colère divine contre laquelle ni l’acceptation ni la négation ne sont d’aucun effet. L’écrivain américain semble dire, dans des entretiens récents, qu’il en a ainsi terminé avec son travail de romancier.