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Jean-Yves Mollier, Hachette, le géant aux ailes brisées, 2018, Paris, Les éditions de l'atelier, 198 p.
Cet ouvrage d'historien - Jean-Yves Mollier est Professeur d'université en histoire - raconte l'histoire d'une entreprise fondée en 1826, c'est l'histoire d'un monopole et de son effritement. On doit déjà à Jean-Yves Mollier, spécialiste de la presse et du pouvoir, une biographie de Louis Hachette.
Hachette fut une entreprise clé des médias traditionnels en France pendant près de deux siècles. Elle en marque l'histoire et la géographie : elle est au cœur du développement de l'édition de livres et de leur distribution, au cœur du développement de la presse et de sa distribution (NMPP, devenue aujourd'hui Presstalis, gérée par les coopératives d'éditeurs).
Son histoire est indissociable de l'histoire économique et politique de la France, elle en est un miroir.
Mais évoquons les débuts. D'abord, un personnage, Louis Hachette, fils d'une lingère, normalien ; tout au long de sa vie, il reste latiniste et helléniste, angliciste, juriste. Mais, faute de pouvoir devenir un "intellectuel" comme on les appellera un peu plus tard (au moment de l'Affaire Dreyfus), il se lance dans le commerce et l'édition scolaire puis dans l'implantation des bibliothèques de gare en 1852 (développées en Angleterre par W. H. Smith, depuis 1848). Les bibliothèques de gare constituent une remarquable anticipation de l'affinité avérée, transports, loisirs et médias : gares et aéroports ne sont-ils pas en train de devenir des centres commerciaux. Hachette combine la distribution et l'édition de livre (Bibliothèque des chemins de fer). La Librairie Hachette a même mis en place un service de publicité efficace, dirigé par Emile Zola (1862-1866) ; celui-ci recommanda à la Librairie de prendre la tête du mouvement littéraire de la jeune génération" ; il ne fut pas entendu.
Les innovations exploitées par Hachette sont nombreuses : l'édition scolaire, les bibliothèques de gares et les kiosques pour distribuer ces médias (un réseau qui comptera 81 000 points de vente en 1937), le livre de poche en 1953 (une idée de Jules Taillandier en1915)... Hachette, c'est aussi Le Littré, France Soir, Paris Match, Elle, Télé 7 Jours et des dizaines d'autres titres. Et puis, surtout Hachette Livre, devenu un des premiers groupes mondiaux d'édition.
Servie par ses relations politiques et économiques successives, l'entreprise Hachette ne manqua pas les occasions de s'étendre. Mais elle en manquera toutefois certaines : ainsi elle laissera passer le club du livre de France Loisirs (une initiative de Bertelsmann, 1970). Globalement, Hachette aura été pour longtemps un acteur majeur de l'économie des médias français, contribuant à la structuration même du paysage médiatique.
Mais, Hachette / Lagardère, c'est d'abord le papier, ses technologies, ses métiers. Le groupe échoue à s'implanter dans la télévision commerciale grand public, d'abord en 1987 avec l'échec de Jean-Luc Lagardère pour acquérir TF1 (repris par Bouygues), puis, en 1992, l'échec douloureux de La Cinq (1992). Symptômes précurseurs. Lui succédera, non sans aveuglement parfois condescendant, l'incompréhension de l'économie numérique, et de ses nouveaux concurrents, Amazon et Google, notamment. La suite est en train de s'écrire avec la vente des actifs média et un recentrage stratégique sur le travel retail et l'édition.
Cette histoire d'un pan majeur des médias illustre deux caractéristiques essentielles du capitalisme à la française, et des médias : d'abord, la recherche du monopole et, pour cela, la compromission continue avec les pouvoirs politiques en place, ce qui inclut la censure, dont celle demandée par les nazis. Cette compromission semble s'exercer au détriment de la lucidité économique, stratégique ; si elle est décourageante, elle favorise aussi les stratégies de conservation. L'auteur détaille l'exploitation par Hachette de ses relations avec les gouvernements de tous bords, y compris avec l'armée nazie lorsqu'elle occupe la France, avec les gouvernements de Pétain et les suivants. Hachette assurera la distribution de la presse nazie en France, Signal, Deutsche Zeitung in Frankreich, ce qui lui rapportera beaucoup.
On apprend, par exemple, dans ce livre que les NMPP (contrôlées par Hachette à 49%, aujourd'hui Presstalis), ont versé, en 1967, des émoluments élevés à François Mitterrand, à Michel Rocard au titre de "frais d'études publicitaires". Investissements habiles, prudence politique ! Quant à la morale, c'est une autre histoire. Tout cela confirme à quel point le financement des partis et des personnels politiques est un problème d'hygiène politique grave.
L'accumulation des combines, des magouilles politico-financières qui émaillent la longue histoire d'Hachette finit par écœurer. En fait, c'est d'un véritable d'un modèle économique qu'il s'agit, hérité de la monarchie et des privilèges, modèle peu compatible avec la l'internationalisation numérique.
On peut alors se demander si l'Etat n'est pas le pire des maux qui puisse arriver au monde des médias.
Le travail de Jean-Yves Mollier est précieux pour comprendre en profondeur l'économie des médias à la française, il révèle son inconscient et ses faiblesses... coupables. A partir de la télévision et surtout de développement du numérique, l'ouvrage est moins convaincant. Mais il ne s'agit plus d'Hachette.
Indispensable.
Références
Elisbeth Parinet, "Les bibliothèques de gare, un nouveau réseau pour le livre", Romantisme. Revue du dix-neuvième siècle, N° 80, 1993.
François Denord, Paul Lagneau-Ymonet, Le concert des puissants, Paris, Raison d'agir, 2016, 141 p.
Jean-Yves Mollier, Louis Hachette, Paris, Fayard, 1999.