Sa longue et prestigieuse histoire est l’héritière d’un voyage entrepris par le Mi-kong chinois et le boichet de Marguerite de Flandres, avant d'inscrire le pain d'épices dans le patrimoine gourmand dijonnais.
Rares sont les entreprises françaises comptant comme elle plus de deux siècles d’existence, comme le groupe Revol Porcelaine drômois (qui a inventé l'aspect "froissés" de gobelets pour boire le café) ou Peugeot (1810) qui fabriquait alors des moulins à café. Il manque une vingtaine d'année à la moutarderie Fallot pour rejoindre ce groupe.
Etant bourguignonne de naissance j'avais envie depuis très longtemps de visiter cet endroit et d'en comprendre les spécificités. Car il existe autant de recettes de pain d'épices que de ville qui en font. J'apprendrai que celui de Dijon n'a rien à voir avec celui de mon enfance, provenant de chez Dosnon, apiculteur à Villeneuve-sur-Yonne.
C'est le parfum du pain d'épices qui prend d'assaut nos papilles dès l'entrée dans le bâtiment (sauf le week-end parce qu'il n'y a pas de cuisson à ce moment là). On est accueilli dans l'espace dégustation-boutique où un couple d'angelot veille sur l'histoire, le savoir-faire et les produits de la maison.
La visite commence par le bureau où cette fois l'émotion est visuelle et affective. Cette première pièce est sobre, fonctionnelle et a été restaurée dans l'esprit qui régnait dans les années 1910. Elle n'est pas encombrée. Les objets d'époque sont mis en valeur, une vieille malle, d'anciens moules et instruments de découpe dans quelques vitrines...
... une antique calculatrice posée encore à portée de main d'un livre de comptes ancien, témoigne de l'activité qui s'est déployée ici. Mais l'ordinateur est proche sur ce même bureau.
Nous sommes à la fois dans un lieu de mémoire et dans un lieu de vie. Dans un espace muséographique et dans une usine de production en pleine exploitation. C'est assez rare.
Auguste Petitjean 1876-1966 est l'arrière grand-père de l'actuelle PDG de l'entreprise, Catherine Petitjean Dugourd. Il prend vie et converse avec ses propres ancêtres pour expliquer l'histoire de l'entreprise qui est avant tout une histoire de famille puisque la transmission s'effectue de père en fils (ou fille). On pourra la suivre sur un arbre généalogique.
Fondé en 1796, la maison Mulot & Petitjean est née de l’alliance des deux plus anciennes fabriques de pain d’épices de Dijon, la maison Boittier et la maison Céry. Elle demeure aujourd’hui une entreprise familiale, très attachée aux valeurs des maîtres pain d’épiciers dijonnais : qualité des ingrédients, fidélité aux recettes séculaires et respect du savoir-faire des hommes. Cette usine est la seule qui ait perduré parmi les onze qui étaient installées dans la région lui répond Louis Mulot qui en a épousé la fille.
Il fallait faire force en réclames pour satisfaire la clientèle de la boutique de la place Saint Jean, appelée depuis place Bossuet.
L'atelier du centre ville devint trop exigu. On décida la construction de la fabrique en bordure de Dijon, mais tout près, sur une parcelle de vignes abandonnées. C'est là que nous nous trouvons aujourd'hui, quelque 220 ans plus tard, dans des bâtiments qui ont connu des agrandissements et qui abritent le musée.
L'histoire ne fut pas linéaire. Les ventes de pain d'épices ont décliné après la seconde guerre mondiale, peut-être en raison de l'abondance soudaine de desserts. Elle a repris vers 1998 et la première extension a été réalisée en 2003.
Mulot & Petitjean a été la première société à recevoir le label "Entreprise du Patrimoine Vivant" en Bourgogne dans le domaine de la Gastronomie.
Elle produit plus de 500 tonnes par an et nous verrons que l'imagination a le pouvoir pour inventer de nouvelles formes et produits tout en maintenant la tradition et le savoir-faire.
On comprend comment la recette est arrivée en Bourgogne en suivant les flèches dessinées sur une planisphère. Le boichet de Marguerite de Flandres est l'ancêtre du pain d'épices que nous connaissons. Elle était précieuse, d'où le terme d'espèces qui est un dérivé de "épices".La visite se poursuit à travers un parcours didactique, ludique et sérieux, sur la fabrication du pain d'épices. A tout seigneur tout honneur ... les épices que présente le quai de débarquement, enivrant de nouvelles odeurs.
Les épices sont destinés à relever le goût du "pain au miel" dont l'usage remonte au XV° siècle et a permis la création d'une nouvelle corporation chez les pâtissiers, reconnue officiellement en 1596 par Henri IV sous le nom de "pain d'épiciers".
Un mur entier leur est consacré. On pourra tester nos connaissances olfactives en tentant de reconnaitre les plus courantes en dévissant les couvercles des bocaux test posés sur la première étagère. La combinaison doit figurer parmi les secrets de fabrication de la maison. Certains sont obligatoires comme anis étoilé, gingembre, cardamome, cannelle et girofle.
L'empilement des bidons utilisés pour stocker et transporter le miel et le sucre est tout autant impressionnant. J'ignorais que l'abeille ne vivait que 40 jours en période de floraison et surtout que l'immensité de son travail ne fournit "que" 7 grammes de miel par individu.
Les bourdonnements rappellent combien elles sont indispensables et laborieuses. Elles sont hélas menacées par les produits phyto-sanitaires et le frelon asiatique.
On apprend qu'un miel est dit "monofloral" s'il est produit à partir d'une seule variété de fleur pour au moins 18%. Les miels d'acacia, de cerisier, de citronnier, de tilleul, de trèfle blanc ou de luzerne sont doux et de couleur claire. La bruyère, l'eucalyptus, la lavande, le châtaignier, le pissenlit et le sapin donnent des miels corsés et ambrés. Le polyfloral contient davantage de fructose et cristallise moins vite. Son goût est plus constant. C'est uniquement lui qui est utilisé pour ce pain d'épices. Et qui était transporté sur un chariot à bidons tel que celui qui figure ici.
J'ignorais que le miel contient environ 20% d'eau, 70% de sucres simples (glucose pour simplifier), 5 à 9% de saccharose, un peu de protéines, des sels minéraux, des vitamines, de l'acide formique, des substances antibiotiques, du pollen, des pigments.
Réputé pour sa finesse, Le pain d’épices de Dijon est réputé pour sa finesse et la douceur de son goût auquel participe le miel mais aussi la farine, uniquement de froment, alors qu'à Reims on employait le seigle, ramené par les Croisés. Pendant les deux guerres il est arrivé d'employer de la farine de riz. Les poudres levantes permettent quant à elles au pain d'épices de se développer lors de la cuisson. Il faut trois kilos de faine pour obtenir un pain de six kilos.
Le mur du fond est recouvert de caisses de bois qui servaient à stocker les pains cuits en attente d'emballage. On y remarque encore des outils, une grille à nonnettes, des bocaux de confiture servant au fourrage (même si désormais on innove en ayant recours au caramel, au chocolat et au lemon curd), et de fruits confits qui étaient essentiels pour embellir le décor des produits.
Nous pouvons maintenant pousser la porte de l'atelier et aborder les différentes étapes de la fabrication du pain d’épices à travers l’exposition de la collection de machines et outils de l’entreprise. Le personnel explique au fur et à mesure les secrets de fabrication du pain d’épices sur des écrans géants, qui ont l'énorme avantage de respecter les conditions sanitaires drastiques d'hygiène tout en créant un lien avec le visiteur.
La fabrication commence comme autrefois, par l’élaboration d’une pâte mère à base de farine de froment, de sucre et de miel que l’on pétrit une dizaine de minutes. On la laisse ensuite reposer au minimum deux semaines en chambre froide, au mieux : 1 à 2 mois – à ce stade, la pâte est très compacte et ressemble à un bloc solide.
La pâte mère est ensuite reprise et assouplie au cours d’une opération appelée braquage. Jean-Louis explique qu'il utilise un plus petit pétrin que son collègue. Il prélève la quantité nécessaire de pâte mère, la coupe, la pèse et lui incorpore les jaunes d'oeufs, les poudres levantes, les épices et les arômes naturels. On remarque que la pesée se fait maintenant électroniquement
Les ouvriers sont mis en valeur. Le prénom de chacun est affiché. Agnès est la plus ancienne. Il y a aussi Teddy, Philippe, Florence, Indoleta qui s'affirme comme la créative de l'équipe et qui a dans la tête tous les modèles décoratifs.
Teddy explique faire ensuite des bâtons de pâte braquée qu'on étalera au laminoir comme s'il s'agissait d'une rouleau à patisser.
On découpe ensuite à l'emporte-pièce et on vérifie (encore) le poids. Puis on dépose sur plaque, ou on met en moule. le pavé de 6 kilos est enmoulé directement et manuellement. Il est ensuite marqué à l'emporte-pièce et cuira deux heures.
Mais la durée de cuisson peut n'être que de quelques minutes en fonction des produits.
Les articles ou sujets peuvent ensuite être fourrés, ornés de fruits confits, ou glacés, ou les deux.
On obtient à la fin les différents produits de la Maison, dont les fameuses nonnettes de Dijon, les pains d’épices natures, les pains d’épices fourrés, les chromographies, les glacés minces, les petits mulots, etc… Beaucoup sont encore emballés à la main.
Les Glacés-minces sont encore glacés à la main au blanc d'oeuf meringué. La fine couche de glaçage au sucre des Glacés-minces dorés est diffusée par un rideau de glaçage. Les Glacés-minces bruns sont glacés avec un sirop de cacao. Destinés historiquement à être trempés dans un verre de vin, ils pourront accompagner les pauses gourmandes, combler les petits creux, ou encore serviront à la confection d’une charlotte savoureuse au goût subtile.
J'ai, à mon retour, présenté une évocation de charlotte en disposant des fruits rafraichis entre deux demi-tranches de Glacés, l'astuce étant d'attendre au moins deux heures avant de servir.
Guillaume est le dernier à s'exprimer à propos de la maintenance.
Le parcours est bien conçu parce qu'il est complet et que c
haque visiteur a tout loisir de l'effectuer à son rythme, et même de revenir sur ses pas pour mieux comprendre telle ou telle étape. Les machines de la première heure témoignent du passé et celles que l'on aperçoit derrière les vitres révèlent combien le métier s'est modernisé. Cette organisation préserve aussi les secrets de fabrication.On termine en débouchant sur l'espace dégustation où par exemple Christine vous attendra pour répondre à vos questions et vous faire goûter le pain d'épices d'origine, à l'anis vert, le croquet au citron vert, une nonette (sans doute à l'orange) et pourquoi pas une Jacqueline.Cette confiserie a été inventée par le pâtissier Michelin qui lui donna le nom de la femme du Jacquemart, ce carillon venu de Flandres qui se trouve à l'église Notre Dame, abritant la statue de la Vierge noire et aussi la fameuse minuscule chouette qui aurait la particularité d'exhausser les voeux si on lui caresse le dos.
Cette confiserie est glacée deux fois, à la main et demande un savoir-faire particulier. La pâtisserie ferma en 1980 et Mulot la racheta en 2003. Christine est précieuse parce qu'elle peut donner des conseils. Ainsi le pain d'épices d'origine, même coupé (il faudrait avoir une famille très nombreuse pour en acheter 6 kilos), se garde plusieurs mois.
Elle répond à nos interrogations. Du fait que la pâte mère doit reposer au moins deux semaines le délai de fabrication le plus court est de trois semaines. On faisait autrefois ce pain là dans les périodes creuses de janvier-février.
La connaissance de la maison serait incomplète si vous n'alliez pas dans la boutique historique du centre-ville, place Bossuet. Il suffit pour cela de prendre un des bus du réseau de transports urbains. (je signale que le centre ville est sillonné d'un bus électrique gratuit toutes les deux minutes, fort pratique).C'est un hôtel particulier à colombages de style néogothique construit au XV° siècle qui appartint à la famille Catin de Richemont, célèbre famille de parlementaires bourguignons, qui lui donna son nom. Le bâtiment fut restauré dans le même style néogothique.
Déjà impressionnant de l'extérieur il est époustouflant lorsqu'on pénètre dans cette institution dijonnaise. Hormis l'électricité qui a dû être mise aux normes du XX° siècle tout a pu être restauré en maintenant les moulures, les plafonds peints, le carrelage qui compose un tapis sur le sol ...
Tout est splendide et met superbement en valeur les produits, traditionnels ou plus innovants… Invitée à pousser la porte de l'arrière-boutique je suis entrée dans l'ancien espace de fabrication où trône encore le grand plateau de marbre et qui est aujourd'hui une réserve.
Des tabliers pendent accrochés à une étagère alors que sur la table du fond une superbe couronne n'attend qu'une main gourmande pour être déclochée. On se dit qu'il est heureux que ces pâtisseries soient pauvres en matières grasses ...
Le choix est immense entre les différents pavés, nature, ou santé, toutes les compositions fourrées à la confiture d’orange, glacées et décorées de fruits confits. Sans oublier les nonnettes, un pain d’épices fourré, au cœur fondant de confiture que les nonnes confectionnaient au Moyen-Âge, dans leur couvent et qui se déclinent dans plusieurs versions, et sous divers emballages.
Car c'est aussi fait la particularité de Mulot & Petitjean que de les soigner. Si beaucoup de produits sont très visibles, sous cellophane, d'autres se cachent derrière une chromographie qui donnent envie de les collectionner.
Je vous recommande de prévoir une large plage horaire pour avoir le temps d'aller dans les deux endroits. Et je vous invite à lire d'autres articles où il est question de Bourgogne, comme la dernière moutarderie dijonnaise Fallot, la fabrique d'anis de Flavigny, Hu Po, un restaurant gastronomique chinois, et bien entendu la School of Wine and Spirits.
Mulot & Petitjean
à Dijon (13, place Bossuet, 1, place Notre-Dame, 16, rue de la Liberté)
à Beaune (1, place Carnot)
Boutique en ligne et visites sur le site www.mulotpetitjean.fr
Du mardi au samedi de 10h à 12h30 et de 14h à 18h30(dernière visite à 17h30)Gratuit pour les enfants de moins de 12 ansVisite avec audioguide ou guidée pour les groupes
Couvert de présentation Jean Dubost, une autre entreprise labellisée EPV.