Résumé : Inside Llewyn Davis raconte une semaine de la vie d'un jeune chanteur de folk dans l'univers musical de Greenwich Village en 1961.
Un faux Hobbit
Sur le plan de la construction narrative, Inside Llewyn Davis et la trilogie du Hobbitsont identiques : le personnage principal part de chez lui, vit des aventures et retour à la case départ. Sauf que là où Bilbon progresse en savoirs, vertus et expériences du monde, Llewyn Davis n’apprend rien. Et d’ailleurs, le récit, construit comme un flash-back, nous ramène exactement au point de départ, sans changement aucun. Cette opposition narrative est déjà bien galvaudée : c’est celle entre le récit d’initiation du héros qui a cours dans le Hollywood dominant et le récit de l’errance introduit par le Nouvel Hollywood dans les années 60-70.
Mais à la grande différence des films du Nouvel Hollywood, dont le caractère fuyant et imperceptible des personnages était le cœur (Le Lauréat, Easy Rider, Bonnie and Clyde…), les frères Coen plongent leur caméra dans le cœur d’un être fuyant. Moins de progression narrative, plus d’introspection psychologique.
De l'expressivité sans pathos
La grande beauté d’Inside Llewyn Davis, c’est d’avoir su extérioriser avec majesté les tréfonds d’un banni. La caméra n’y est pas sonde expérimentale explorant les turpitudes de l’âme humaine ; elle exprime tout en nuances et justesses la fontaine qui affleure en cet homme. À première vue, cette histoire d’un Bob Dylan raté, incapable de négocier un contrat avec ses producteurs et inepte dans ses relations sociales et amoureuses, aurait pu basculer dans la noirceur et le pessimisme absolus. Mais la noirceur est subjuguée par la lumière. Le travail photographique est superbe : les couleurs de New-York en plein hiver baignent les images d’un léger et discret noir et blanc. Et, au milieu des couleurs ternes de son existence, les doigts fabuleux d’Oscar Isaac/Llewyn Davis touchent les cordes de sa guitare, et la lumière prend vie. Elle n’est ni éblouissante, ni solaire, ni divine ; venue des projecteurs d’un bar ou d’un pâle soleil d’hiver, elle est feutrée, délicate, belle, car elle sait vivre avec l’ombre. La lumière et le jeu d’acteurs suivent cette même cadence mineure, verlainienne sans être triste. Oscar Isaac est merveilleux pour savoir composer le désespoir sans être pathétique, la colère sans être en rage, la frustration sans éclater. Toute expression passe sur son visage, dans ses yeux, dans sa voix, dans ses gestes, reluit quelque peu, mais ne s’y fige pas. Carey Mulligan/Jean y excelle tout autant, dans ses justes colères qui ne vont jamais jusqu’au pétage de plombs. Tout est retenue, justesse, et justice des sentiments. Ne jamais mentir sur le cœur humain, ni en bien, ni en mal. Pas de pathos.
Et puis, la musique. Ce n’est pas un film musical à proprement parler, mais la musique tient l’un des premiers rôles dans la révélation de cet être bafoué. La musique est ce qui lui rend sa dignité. Llewyn Davis est indéniablement un bon musicien, et devrait pouvoir trouver un producteur. Mais il n’est pas non plus génial, de sorte qu’on ne crie pas à l’injustice. Il fait partie de ces innombrables anonymes de l’histoire de l’art, de ceux qui se sont crus un grand talent et qui se sont plantés aux portes des studios.
Ni gentils, ni méchants. Des femmes et des hommes qui se croisent, se rencontrent, réussissent ou échouent, un peu des deux à la fois. Mais rien de triste dans tout ça. Malgré leur apparente monotonie, nos vies sont folk et lumières. Il faut imaginer Llewyn Davis heureux.
Maxime
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