Dans son premier livre, Nullarbor, David Fauquemberg partait déjà en campagne de pêche – en Australie. Ce n’était pas non plus de tout repos. Mais la fatigue a du bon quand elle est justifiée par la nécessité et, surtout, elle empêche de penser. Le Français, personnage romanesque, ressemble au narrateur, l’auteur lui-même, de ce récit initial quand il constate : « La vie au large était rude, surtout dans ces parages, mais ses obligations avaient l’avantage d’être simples – pas moyen de leur échapper. Cela vous procurait un curieux sentiment de sécurité, l’apaisement de savoir à chaque instant ce qu’il fallait faire, et pourquoi. » Les romans de mer fascinent quand ils sont réussis. Ils emportent sur des eaux où la plupart d’entre nous n’oserions pas nous aventurer dans ces conditions. Le faire par procuration et éprouver les sentiments de la fraternité simple qui règne sur un bateau où la vie de chacun dépend des autres est davantage qu’un plaisir : une exaltation. Bluff offre cela, et même davantage quand le récit s’interrompt. Se glissent alors des chapitres où se racontent des histoires mythiques. Celle de Papa Marii, qui a pêché un jour le plus grand poisson de l’océan. Celle de Tupaia, qui connaissait les secrets de la navigation aux étoiles et supplantait le savoir des navigateurs anglais. Celle de Mau, qui a transmis ces secrets afin qu’ils ne se perdent pas : « Ils savent pas que ma pirogue est immobile quand je voyage, ancrée comme une terre !… » De cette manière, Bluff n’est pas seulement un roman au présent qui convoque dans l’urgence les hommes face au danger. Il est aussi la réécriture, sur la surface à la fois mouvante et inchangée des océans, de faits anciens sur lesquels se reposent les marins d’aujourd’hui pour ne pas s’égarer. Le lecteur ne s’égare pas non plus, conduit d’une main sûre par un écrivain qui trace le chemin à la perfection vers une existence apaisée en harmonie avec la nature – mais seulement après avoir traversé les tempêtes qui sont les épreuves initiatiques vers ce but.
Cette quête paraît, par certains aspects, insensée. La grille par laquelle le narrateur fait passer son analyse est trop serrée pour autoriser une autre vision. Mais elle est aussi la colonne vertébrale du récit et ce n’est pas la première fois qu’on doute d’un personnage occupé à imposer son point de vue. Le plus intéressant, cependant, est le portrait psychologique de Robert Kennedy. Encore marqué par la mort de son frère, il a été contraint de reprendre le flambeau familial alors qu’il ne se sent pas à la hauteur : John, bien que physiquement diminué et compensant la douleur par un comportement de séducteur effréné, a toujours été considéré comme le plus brillant. Robert ne pouvait être que son double en mineur. Et cependant, marchant dans les pas de son frère, il sait que la mort lui est promise aussi. C’est écrit, ou presque, et il affronte la fin annoncée avec autant de courage que de fatalisme. Le portrait est saisissant et très crédible. Dans le va-et-vient constant entre la vision du narrateur et celle des Kennedy surgissent quelques informations dont on ne sait ni ne veut savoir si elles sont dues à l’imagination de l’écrivain ou à des sources fiables. Elles pimentent, en tout cas, un livre fait pour plaire et qui y réussit très bien.